Ombre et lumière

Chapitre 15

Elle était nulle à ce jeu !

Voilà tout ce qu'elle pouvait tirer comme conclusion, après quelques jours passés dessus. Le lendemain de son incroyable révélation, Franck lui avait montré comment se connecter sur le serveur de Justices, ce jeu qui servait de test pour ses recrutements.

Elle avait alors bombardé le prêtre de questions et avait découvert que ce jeu n'en était pas un à l'origine, mais avait été un prototype de logiciel d'entraînement pour les forces de police. Quelles que soient les réelles qualités du jeu dans ce contexte, il semblait qu'un politique avait décrété que former les policiers sur des jeux vidéo n'était pas une bonne idée. Valentina n'avait guère d'avis sur la question, en revanche, imaginer la scène lui avait tiré un sourire.

Comment le prêtre était entré en possession d'un exemplaire du jeu, elle n'en savait rien. Il prétendait l'avoir modifié pour mieux correspondre à ce qu'il voulait en faire, mais là encore, Valentina ne sut comment il avait fait. Il était évident que Francky avait des connaissances en informatique. Sans le moindre doute, il était bien meilleur qu'elle, par exemple. En revanche, il n'avait pas l'air d'un programmeur ou d'un hacker. Elle se rappela cependant qu'il n'avait pas non plus l'air d'un justicier lorsqu'il portait son col de prêtre et décida de ne pas tirer de conclusions pour le moment.

Ce qui l'intéressait était ce jeu et il lui enseigna les rudiments ainsi que les règles. Il lui envoya ensuite une invitation à rejoindre leur équipe : Le_Squad. Il y avait, en tête, un certain Patrem666. Il s'agissait de Francky lui-même, dont le pseudo était affiché en rouge. Dans la bande, il y avait aussi, Gladius, Shaga13, NavySeal et Baba.

— Ils sont tous membres des Avengers ? avait demandé Valentina.

Francky avait acquiescé et avait continué ses explications. Le principe du jeu était très simple : dans la ville fictive, des malfrats s'en prenaient à des innocents et le but était de les arrêter.

— Pas besoin de les tuer ni de les mettre en prison, avait insisté Francky. Le but, c'est de sauver les victimes.

Les explications s'en étaient arrêtées là.

Depuis, elle enchainait les parties avec presque toujours le même résultat : un échec. Elle avait passé les deux premiers jours à jouer en solo sur la carte d'entraînement. Elle avait d'abord fait connaissance avec les commandes. Maîtriser son avatar ne fut pas simple. Ce n'était pas une habituée des jeux vidéo de quelque sorte que ce soit. Lorsque les commandes de base lui furent familières, elle osa se rendre sur la carte principale où se trouvait l'équipe de Francky. Lui-même n'était pas bien souvent connecté. Baba et Shaga13, en revanche, étaient presque toujours là. Ce fut Baba qui l'accueillit le premier et lui proposa de faire une mission ensemble. Un premier échec. Son personnage se fit tabasser par trois malfrats en costume d'Halloween. La seconde mission fut à peu près identique à la différence près que son acolyte tenta de la tirer des griffes des agresseurs. Leur surnombre ne leur permit pas de s'en sortir.

Le lendemain, ce fut Shaga13 qui tenta une partie avec elle.

« Arrête de foncer dans le tas ! »

L'injonction était apparue dans l'espace dialogue du jeu, alors qu'elle était de nouveau en train de se battre contre deux malfaiteurs cette fois. Elle ne répondit pas tout de suite, car, pour une fois, elle avait l'avantage.

« Je fonce pas dans le tas ! »

« Bien sûr que si »

Malgré sa critique, il accepta de faire une nouvelle partie avec Valentina et, de nouveau, elle fut responsable de leur échec.

« Il est nul ce jeu... »

« Ou alors c'est toi qui l'es ^^ »

Ça ne faisait pas rire Valentina. Si elle était nulle à ce jeu, Francky ne l'inclurait pas dans son équipe de justiciers.

« Au lieu de te foutre de moi, aide-moi ! »

« J'ai essayé, je te signale... »

Valentina allait répliquer, lorsqu'elle comprit de quoi il voulait parler. Selon lui, elle fonçait dans le tas. Elle l'avait rembarré, mais devait bien admettre que, quoi qu'elle pense, elle perdait beaucoup plus souvent qu'elle gagnait. Il y avait sans doute quelque chose dans sa technique de jeu qui n'était pas bon. Elle ravala donc son orgueil et lui demanda plus de précision sur cette histoire de foncer dans le tas.

Shaga13, qui ne se donna pas plus la peine que Baba de se présenter, lui rappela que ce jeu n'en était pas vraiment un. C'était plutôt un genre de simulateur. Les méchants du jeu suivaient un algorithme quelconque qui reproduisait le comportement des agresseurs dans la vraie vie. Selon Shaga13, la plupart d'entre eux ne souhaitaient pas un affrontement physique. En revanche, parce qu'ils étaient souvent en surnombre et jouissaient d'une aura particulière, en tant qu'agresseur, cela suffisait à effrayer leurs victimes. Le moindre élément perturbateur suffisait donc à mettre en fuite ces courageux malfaiteurs.

« T'es en train de me dire que y a pas besoin de se battre ? »

« Exactement !! »

Valentina avait bien du mal à y croire, mais pour faire bonne figure, accepta de suivre Shaga13 dans une nouvelle partie en calquant son comportement sur le sien. Le résultat fut étonnant, mais conforme à ce qu'avait prédit ce mystérieux Shaga13. Ils se montrèrent au coin de la rue où un vol à la tire était en cours et le voleur prit la fuite immédiatement. Valentina eut la surprise de voir ses statistiques bondir d'un coup. Shaga lui expliqua qu'elle avait réussi à éviter le vol et qu'il n'y avait eu aucun blesser, c'était ce qui leur avait valu un bonus. Dans la partie suivante, c'était une agression sexuelle avec deux individus dont l'un armé d'un couteau. Suivant le plan de Shaga13, Valentina se concentra sur la victime, l'aidant à prendre la fuite, tandis que lui détournait l'attention des agresseurs. Il lui expliqua ensuite, lorsqu'ils se retrouvèrent, deux pâtés de maison plus loin, qu'il s'était contenté de fuir dans la direction opposée après avoir provoqué les deux malfrats.

« En fait, notre but n'est pas de faire la police.
On doit juste aider les victimes, du coup le jeu porte mal son nom, car on ne rend pas la justice. C'est pas ça notre boulot. Notre but c'est pas de nous battre, on peut pas souvent gagner en fait. »

« Je vois...
Merci »

Ils firent encore quelques parties ensemble, ce jour-là et Valentina ne perdit plus jamais.

D'une certaine façon, elle était déçue, comprit-elle en éteignant son ordinateur après la dernière session de jeu. Elle avait envie de réduire les malfaiteurs en bouillie. Ces gens ne méritaient aucune pitié, selon elle. Pas plus que ce sale type qui avait trouvé intelligent de lui caresser les fesses sans son consentement. Shaga13 avait pourtant raison : ils n'étaient pas la police. C'était parce qu'elle avait voulu rendre la justice elle-même – et de façon violente en plus – qu'elle avait fini à Saint-Joseph. Elle s'en était prise à un sale type, certes, mais s'il avait été équipé d'un couteau ou juste s'il avait été plus fort qu'elle, ça aurait pu se finir comme dans ce jeu : elle aurait perdu. Elle aurait pu être gravement blessée, même.

Cette façon de voir les choses, plus pacifique, avait beau être en contradiction avec son instinct, elle découvrit qu'elle était convaincue. Cela la motiva encore plus à intégrer cette bande de justiciers. Elle ignorait qui étaient les autres joueurs, mais si tous avaient cet état d'esprit, ce ne pouvait être des psychopathes ou des fous furieux. Francky semblait plutôt sein d'esprit, d'ailleurs. Il avait refusé d'emblée de la prendre avec lui par simple précaution, tant qu'il ne pouvait pas valider qu'elle respecterait ses règles. C'était bien une preuve qu'il n'était pas bargeot.

Elle l'espérait, en tout cas.

Valentina quitta sa chambre pour vérifier ce que faisait son petit frère. Ils discutèrent quelques minutes lorsqu'elle lui annonça qu'elle partait faire un tour. Elle n'avait pas vu Francky en personne depuis qu'il lui avait donné une copie du jeu. Ils avaient échangé par SMS, mais Francky n'était pas du genre à répondre très vite ou très souvent.

Par ailleurs, elle avait promis de l'aider dans sa vie de paroissien, il était plus que temps qu'elle passe à l'action.