Je roule pour passer la frontière, les doigts serrés sur mon volant. Je n'arrive pas à savoir ce que je ressens. Suis-je heureux de le revoir, en colère, excité ? Certainement les trois.
Je l'admets, quand j'ai repris du service à la maison close, j'ai hésité à le contacter. Pour le faire rager, pour lui dire que, maintenant, il pouvait de nouveau venir me sauter, et réciproquement. Après tout, je ne suis plus son employé, il ne peut plus se cacher derrière ça.
Mais je ne l'ai pas fait. Une part de moi craignait tout à la fois qu'il accepte et qu'il refuse. Je me suis imaginé des dizaines de fois avoir le courage de l'appeler ou rien que de lui envoyer un message. Et j'ai imaginé les mille-et-une réactions qu'il aurait pu avoir, de l'indifférence à la colère, en passant par la joie, pour moi, pour lui-même. Et face à lui, mes propres réponses, en miroir aux siennes, ou alors, tout à l'opposé. Je pensais avoir joué tous les scénarios.
Pourtant, rien de tout ça ne m'avait préparé à cet instant. Jamais je n'aurais cru que la reprise de contact vienne de lui. Et, de surcroît, qu'il demande que je le rejoigne chez lui. Pas dans un hôtel où nous aurions été deux anonymes, ou dans la maison close où il n'aurait été qu'un client de plus. Non, il a demandé après moi, spécifiquement. Il est prêt à mettre le prix pour que je me déplace jusque chez lui, il a donné son nom, des justificatifs.
Mon esprit part en tous sens. Pourquoi faire tout ça ? Est-ce que, pour finir, je suis plus que ce qu'il admettait ? A moins que me convoquer chez lui soit une façon de me rappeler ma condition, me rappeler que je suis à son service, qu'il me paye pour une prestation ? Ou peut-être suis-je la solution de facilité ? Après tout, en tant que patron d'une grande entreprise, s'octroyer les services d'un Escort est facile mais pour lui, se payer les miens, c'est aussi l'assurance que moins de personnes soient au courant. Quoi qu'après ma petite scène lors de sa soirée de Noël et ce que j'y aurais dit, la discrétion est morte.
Alors quoi ?
Un chewing-gum mentholé en bouche, je m'arrête au dernier feu rouge. Je tourne dans sa rue, ralentis, entre sur sa propriété, et m'arrête devant la maison. J'observe le bâtiment, son côté moderne, ses lignes simples et épurées. Mais surtout, je reste un instant pantois. Je sais que sa société va bien, mais pour moi qui vis depuis le début de mes études dans le même studio, cette bâtisse de deux étages aux nombreuses fenêtres semble immense.
La majorité des pièces sont éteintes. Seules les grandes baies du rez-de-chaussée, à droite de la porte d'entrée sont allumées.
Est-ce qu'il m'attend ? Est-il impatient de me voir ? Pour ma part, même si je suis stressé, j'ai hâte.
Tremblant un peu, je coupe le moteur. Le plafonnier de la voiture s'allume et j'en profite pour vite vérifier mon allure dans mon rétroviseur. Je replace l'une ou l'autre mèche, crache ma confiserie dans un mouchoir que je jette dans le sachet qui me sert de petite poubelle, souffle un bon coup, et quitte ma voiture, ma sacoche sur l'épaule.
Rien ne semble bouger dans la maison. A croire qu'elle est vide, ou qu'il s'est endormi. Un coup d'œil à ma montre. Il n'est que vingt-et-une heures, je suis étonné qu'il soit déjà rentré, mais je suis à l'heure pour laquelle il a commandé sa prestation.
J'ajuste mon manteau, souffle dans mes doigts pour les réchauffer, avance jusqu'au porche et sonne. Derrière la porte, j'entends du bruit, mais on tarde à m'ouvrir. J'aviserai bien le nom sur la sonnette, mais rien n'est écrit, et je crains soudain de m'être trompé d'adresse.
Puis, un bruit de clé dans la serrure, la porte qui s'ouvre, et Florian dans l'entrebâillement.
Nous nous toisons un moment, sans un mot, sans un geste. Juste ses yeux gris dans les miens. Puis, de ses yeux, ma vue s'élargit à son visage, à ses traits tendus, et je ne peux retenir un sourire. J'ai l'impression de le revoir la première fois, au bar de l'hôtel. A ce détail près qu'il est ce soir habillé de façon moins formelle, son costume gris laissant la place à un pantalon de sport noir ample et un t-shirt blanc. De ses cheveux humides, une goutte d'eau roule sur sa tempe et descend jusqu'à sa mâchoire, avant d'être absorbée par le col de coton blanc quand elle dévale son cou.
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Patron et Prostitué [Terminée]
RomanceFlorian, patron d'une grande entreprise, a une relation tarifée d'une nuit avec Romain, le beau jeune homme qu'il a commandé à la maison close locale lors de son déplacement. Si Romain lui dit ne faire ça qu'en attendant de commencer son nouveau tra...