Chapitre 30 : Déclaration

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Les jours se suivent et se ressemblent. Tous les soirs, je me rends à la maison close où j'enchaîne les clients. Tous les soirs, Florian est là, me regarde, ne tente rien. Il ne m'a pas adressé la parole depuis le premier matin, depuis que je lui ai dit que je ne coucherai plus avec lui. Mais pour ma part, je ne me suis pas privé, cherchant par tous les moyens à le décourager de se présenter ici, soir après soir. J'ai alterné les ''j'ai le droit de choisir mes clients, et je ne veux plus de toi parmi eux'', avec les ''trouve quelqu'un d'autre'', ou encore les ''on s'est tout dit, je n'ai rien à ajouter''. Rien ne l'a fait bouger. Par acquis de conscience, j'ai jeté un œil aux nouvelles concernant Sarron Entreprise, sans rien trouver d'étrange. Pourtant, l'absence du PDG d'une grande entreprise telle que la sienne devrait entraîner des conséquences. Mais rien. Pas un mot, pas une fluctuation. Serait-il en vacances, comme n'importe qui en plein mois d'août ? Dans ce cas, pourquoi les passer assis dans un fauteuil, dans le coin d'un bar d'une maison close, à subir le mépris d'un prostitué ?

C'est ma dernière nuit avant mon jour de congé. Six jours. Ou plutôt six nuits. Et Florian est toujours là. Je ricane en pensant que je me sens un peu oppressé par sa présence : n'ai-je pas, moi aussi, joué à ce jeu-là quand je travaillais pour lui ? Faisant en sorte d'être toujours visible, d'être présent en continue et jusque tard le soir ? Je dois l'admettre, son silence est ce qui rend sa présence si pesante. Très bien, il a gagné. Je ne le croyais pas capable de rester ici à attendre que je cède. Quand je pense que j'ai passé des mois à jouer à ça avant qu'il ne me demande d'arrêter, et moi, je craque au bout d'une petite semaine. Quelle que soit la raison de sa présence, il doit arrêter, faire comme moi et passer à autre chose.

Il est cinq heures. C'était une nuit assez calme, qui m'a laissé du temps pour penser. A cette heure-ci, le bar est vide, à l'exception du barman et de Florian, toujours dans le même fauteuil. Comme il a refusé tous les autres et qu'il est clair pour chacun que je suis celui qu'il attend, plus personne ne lui tourne autour. Et comme il n'y a plus d'autres clients, c'est à moi d'aller vers lui. De toute façon, je dois lui parler.

Je réajuste et resserre mon peignoir autour de ma taille, puis traverse la pièce avant de m'installer dans le fauteuil voisin. Nous restons ainsi de longues minutes, juste à nous regarder, sans dire un mot. Et le seul moment où il détourne le regard, c'est quand il baille derrière son poing.

_ Tu devrais rentrer chez toi. » lui souris-je. « T'es épuisé. Ça fait presque une semaine que t'es là.

_ Je commence à prendre le rythme. Et nous devons avoir une discussion. » sirote-t-il son verre, ses yeux gris plongés dans les miens.

Mais je ne me laisse pas impressionner par son regard déterminé.

_ Je m'excuserai pas de t'avoir collé un pain. » affiché-je un sourire en coin. « Tu le méritais.

_ Ce n'est pas la question. Je veux qu'on reparle de la proposition que je t'ai faite.

_ De me payer pour vivre chez toi, et donc faire la pute H24 ? Tu veux un autre pain ? » serré-je les dents, mes mains comprimant les accoudoirs.

_ Je te veux à mes côtés.

_ Tu écoutes quand je te parle ou pas ? » me redressé-je sans quitter ma place pour ne pas commettre d'impair. « Je t'ai dit que...

_ Je n'ai pas parlé d'argent, Romain. » reste-t-il serein. « Et pour répondre à ta question, oui, je t'écoute. J'ai d'ailleurs bien pris note que, ce qui te dérange, c'est qu'il soit question d'argent. » désigne-t-il son visage où l'hématome est encore bien visible.

_ Alors quoi ? » retombé-je contre dossier, fatigué de son jeu.

_ Je n'ai pas changé d'idée. Viens vivre avec moi.

Patron et Prostitué [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant