Chapitre 24 : La vision de Leslie

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J'ai appelé la maison close pour avertir la maquerelle de mon départ anticipé. Je lui ai dit que je me sentais mal. Ce qui n'est pas loin de la vérité. Puis j'ai menti en lui assurant que le client m'avait payé pour le temps passé à ses côtés. Après tout, nous ne sommes pas de simples prostitués, mais des Escorts. Certains d'entre nous passent des soirées entières à jouer les jolis bibelots au bras de leur client, avant d'être consommés. Et ce temps passé se paye tout autant. Or, si Florian avait bel et bien préparé mon enveloppe et que j'aurais pu partir avec sans qu'il ne dise rien, je n'ai pas pu. Pas après la discussion que nous venions d'avoir. Je regarde ma montre. J'ai passé moins de deux heures avec lui. Je passerai à la banque avant de retourner travailler, pour donner l'illusion d'avoir perçu le règlement.

Quand je passe ma porte, il n'est même pas minuit. Comment une soirée qui promettait d'être excellente a-t-elle pu déraper à ce point ? Et je ne parle pas de l'argent que je me serais fait, mais bien du temps que j'aurais pu passer avec Florian. L'argent n'est pas ce qu'il y a de plus important. Ça ne tiendrait qu'à moi, sans devenir bénévole, je ne pratiquerais pas les tarifs qui sont aujourd'hui les miens. C'est la matrone qui décide des tarifs. Elle dit qu'un tarif trop bas n'attire pas la bonne clientèle, et j'ai passé assez de temps en commerce pour savoir qu'elle a raison. Il n'empêche. Il suffit de voir mon studio et ma petite citadine pour comprendre que je n'exerce pas en tant qu'Escort pour l'argent que ça me rapporte. Ensuite, comme je le répétais à Leslie, ça paye les factures et le loyer, et il reste de l'argent. Mais pour ma part, si je ne me restreins pas sur mes achats, la majorité dort sur un compte. Et ça n'a bien sûr pas échappé à mon banquier qui me harcèle depuis des semaines pour que je passe le voir. Je ne l'avais jamais entendu aussi mielleux.

Je me laisse tomber sur mon lit. Je ne suis debout que depuis quelques heures : je n'ai pas sommeil. Et, si je dors maintenant, je serais décalé quand je devrais retourner travailler. Mais ai-je envie d'y retourner ?

La proposition de Florian me tourne dans la tête. Je ne dirais pas non à retrouver mon poste chez Sarron Entreprise. Pas pour le salaire ou l'avancement qu'il m'a proposés, mais pour retrouver ce job qui me faisait rêver, et qui exerce encore cette envie sur moi. J'ai fait mes études, mes stages, tous mes jobs étudiants pour arriver à ce poste. Ce travail, c'était mon but professionnel, l'emploi que j'ai tout fait pour obtenir. Je l'avais, je l'ai perdu.

Mais le pire a été de lui dire non ce soir. Si une autre entreprise me proposait le poste je dirais oui. Mais pas à Florian. Parce que je connais sa politique interne sur les relations qu'il accepte d'avoir avec ses collaborateurs. Et c'est le genre de relation que je ne veux plus avoir avec lui. Je le lui ai dit, je refuse qu'il recommence à me fuir. Pourquoi m'a-t-il proposé ce poste ?

Ces derniers mois, nous nous sommes vus à de nombreuses reprises et, s'il a toujours été question de sexe et d'argent, il me semblait que nous nous rapprochions. Combien d'heures avons-nous passé à discuter ? Il est arrivé que nous ne couchions ensemble qu'une fois et nous parlions ensuite jusqu'au bout de la nuit. Et si, au départ, nous n'évoquions que son entreprise et ses difficultés de recrutement, au fil des semaines, nous avons parlé de ses projets et de ses aspirations. Pour son entreprise, bien sûr, mais aussi sur le plan privé. Et dans ces moments-là, je ne me contentais pas de l'écouter, mais lui faisais part de mes propres rêves. Il m'écoutait, nous échangions, confrontions nos avis, nos envies.

Quand il m'a appris la grossesse de Sandrine, j'ai perçu dans sa voix son regret de ne pas pouvoir avoir d'enfant lui aussi. Nous avons alors discuté adoption, P.M.A. et G.P.A., des législations des différents pays, sur notre continent, mais aussi à travers le monde, ainsi que de mes propres désirs d'enfant.

Nous avons eu nos discussions les plus enflammées pour savoir quel fast-food proposait les meilleures frites, les meilleurs burgers. Nous avons comparé les salles de sport et singé en riant aux éclats les hétéros qui se pensent plus virils que nous, quand eux ont besoin de l'approbation de leurs semblables pour valider leur masculinité toxique.

Patron et Prostitué [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant