Le Chant des Sirènes

Prologue

Elle croyait que la mer l'engloutirait, l'étoufferait, la briserait, mais son impitoyable sagesse l'avait libérée de cette étroite enveloppe d'ignorance qui l'avait rendue sourde, aveugle et muette toutes ces années. La mer lui avait montré qui elle était réellement. Depuis cette nuit-là, elle avait appris que les espoirs brûlaient et calcinaient pour finalement renaître de leurs cendres. C'était ce qui l'avait maintenue en vie durant tout ce temps : l'espoir. Elle était déterminée à se battre et à se relever, quoi qu'il arrivât. Cependant, le temps qu'elle prît conscience de cette réalité, de cette force qui vivait en elle, elle était tombée, maintes et maintes fois. Elle avait sombré au plus profond des abysses, au plus profond de son âme, et pourtant, elle était debout aujourd'hui et ne cessait d'apprendre de ses erreurs passées. Elle n'arrêterait jamais de lutter pour la liberté, parce que ce mot était la source de sa nouvelle vie, celle qu'elle avait toujours voulu vivre.

Une vie au parfum de sel marin et d'écume dans ses cheveux lâchés.

Une vie d'adrénaline dans les rafales imprévisibles des tempêtes.

Une vie indomptable au goût d'aventure et de découverte.

Une vie libre.

La capitaine se détacha de la vue infinie du ciel nocturne, se reflétant sur la surface de la mer parsemée d'étoiles, et décocha un regard attentif vers le mât de son navire, le Siren Song. Les voiles se gonflaient et épousaient les formes du vent marin en poussant le vaisseau sur l'eau tranquille. D'un pas léger et assuré, elle monta les marches de l'escalier pour accéder au gaillard d'arrière. Le barreur s'effaça à son arrivée. Lorsque les mains de la capitaine se posèrent sur la barre et caressèrent le bois souple, elle inspira profondément. Elle redressa la tête en ajustant son tricorne et mania le gouvernail fermement tout en gardant un œil sur l'étendue noire. La nuit était calme. La mer endormie semblait clémente ce soir, mais elle la savait capable de bien des choses.

Tirée de sa rêverie, elle sortit un petit carnet noué d'un lacet de la poche de son manteau de cuir et déplia une carte glissée entre deux pages. Durant ses voyages, elle se repérait grâce aux étoiles et marquait le papier à l'encre en formant de vastes courbes de terres inconnues et de lieux mystérieux. La carte s'agrandissait à chacun de ses pas, à chacune de ses découvertes. Tellement d'endroits demeuraient encore cachés en ce monde. C'était ce qu'elle préférait faire. Découvrir, mémoriser, immortaliser. Elle aimait admirer le monde et ses origines. Malheureusement, sa carte n'était pas assez grande pour contenir un tel horizon. Dans sa cabine, elle regroupait plusieurs dizaines de cartes dessinées à la main, accrochées sur le mur comme un puzzle à compléter.

D'un geste prudent, elle posa la boussole près du plan et guida le navire en direction de l'île de Tortuga. Le repaire des truands des mers s'y trouvait tout près, au milieu de la mer des Caraïbes, inconnu de tous. Seuls les pirates connaissaient le chemin de cette île présente sur aucune carte. Cependant, la sienne avait connaissance de cette cache clandestine appelée l'île Manta.

Quand elle releva le menton, elle aperçut une lumière clignotante au loin, formant un halo sur la surface de l'eau. Elle rangea sa carte et sa boussole et interpella un membre de son équipage. Celui-ci lui tendit une longue-vue, elle regarda au travers des lentilles. Ses yeux aiguisés se posèrent sur un bout de terre au loin, baigné de lumières orangées et surplombé par un phare qui balayait les côtes hérissées de récifs. Son regard pétilla lorsqu'elle donna enfin l'ordre d'accoster. Les pirates se plièrent à ses instructions. Ils ferlèrent les voiles, relâchèrent les cordes reliées aux palans et préparèrent à faire tomber l'ancre. Le vaisseau pirate longea les côtes dentées de l'île Manta jusqu'à atteindre le port illuminé par les torches. La musique endiablée résonnait dans les bars, les bordels et les marchés jusqu'au bord des plages.