Le Chant des Sirènes

Chapitre six : Impuissance

Des cliquetis bruyants de chaînes et des voix tonitruantes la retirèrent vaporeusement d'un sommeil vide d'émotions, les yeux encore dans le vague. Les formes ne se résumaient qu'à des ombres indistinctes et mouvantes. Sous elle, la jeune femme sentait un parquet humide et dur qui lui éraflait la peau. Une odeur immonde s'imprégnait sur ses vêtements boueux. Ses yeux s'ouvrirent brutalement de dégoût lorsqu'elle huma l'atmosphère dense et mourante. Elle se releva trop vivement. Une douleur lui arracha les chevilles et les poignets entravés. Son regard n'était pas encore habitué à l'obscurité de cet endroit. Elle se heurta à un corps au sol. Quand sa peau l'effleura, elle réprima un cri de stupeur et recula en se mordant la lèvre si fort que du sang s'écoula sur sa peau fragile, encore irritée par la mer. Le corps était froid, aussi gelé qu'un bloc de glace quand sa main avait touché le bras inerte. Il dégageait une puanteur moribonde, comme s'il se décomposait.

Une fois ses yeux adaptés à l'obscurité, elle découvrit avec stupeur que le corps qu'elle avait heurté était encore vivant. La silhouette était plus distincte maintenant, elle était allongée sur le flanc droit, dos à elle. C'était une femme qui dormait, sa poitrine se soulevait lentement, apaisée. Pourtant, Lady Diana aurait juré avoir bousculé un cadavre... D'où venait donc cette odeur ?

Perplexe, elle se rapprocha de la femme endormie, des chaînes lui enserraient cruellement les chevilles au point de les faire saigner. Ses poignets étaient ramenés vers son ventre, ficelés jusqu'à écorcher sa peau. L'odeur lui piquait le nez à chaque fois qu'elle s'en approchait. Quelque chose n'allait pas chez cette femme captive. Elle le savait, elle le sentait.

Dans la cale où elle était enfermée, elle surprit, par-delà le noir sans fond, des ombres bouger dans l'obscurité. Les cliquetis répétitifs des maillons avaient gardé la jeune femme éveillée durant de longues heures. Elle était assoiffée et implorait en silence que quelqu'un vînt leur offrir de l'eau douce pour s'hydrater.

Jamais personne ne vint pour tous ces gens.

Elle sentait que la cale basculait nonchalamment, elle entendait les vagues frapper contre le bois. Elle savait qu'elle était prisonnière sur un navire et que ce dernier avait quitté le port de la ville.

Où allait-il ? Qu'allait-il faire de tous ces gens ? Lady Diana sentit la panique l'envahir et son cœur s'emballer de colère.

Un navire négrier...

Du coin de l'œil, elle vit le corps de la femme remuer. Elle resta méfiante, immobile et à bonne distance du corps endolori de l'inconnue. Lorsqu'elle se redressa, des tremblements de vertige déséquilibrèrent la femme. Lady Diana ne pouvait plus l'ignorer, faire comme si de rien n'était. Une telle détresse émanait dans son regard, dans ses gestes affolés et sur son visage décomposé. En quelques secondes, la femme avait pris des années de trop. La fatigue l'enveloppa et des rides de désespoir flétrirent sur sa peau.

Dans son observation, la jeune femme avait omis un détail. La femme dissimulée dans l'obscurité de la cale, enchaînée comme un animal, affaiblie et tremblante, tenait un bébé dans ses bras. L'enfant enveloppé dans un linge de fortune était serré tout contre sa poitrine, réchauffé et réconforté par la chaleur de sa mère. Elle le berçait tendrement, caressait le duvet de sa tête et chantait d'une voix sèche, comme un râle. Le bébé ne bougeait pas, ne pleurait pas, ne réagissait pas. Il était aussi livide que le linge blanc dont il était enveloppé. L'enfant restait inerte dans ses bras, mais elle ne semblait pas le remarquer.

Le cœur de Lady Diana se brisa lorsque la femme déposa un baiser sur le front du petit. Elle ne pouvait pas la laisser dans l'ignorance. Cette odeur nauséabonde qu'elle avait sentie auparavant et qui persistait encore émanait du corps de l'enfant. La maladie l'avait atteint et l'avait tué. À présent, elle rongeait la vie et l'âme meurtrie de cette inconnue. La folie de la maladie l'avait déjà atteinte.