Le Chant des Sirènes

Chapitre vingt-six : Le prix de l'immortalité

Des mois durant, Diana s'était rendue malade d'inquiétude. Elle se forçait à avaler le peu de nourriture que l'équipage lui donnait, mais elle finissait toujours par le recracher. Son sommeil était assailli de cauchemars, elle criait au beau milieu de la nuit et se levait chaque soir pour s'assurer que Shane allait bien. Depuis, elle restait auprès de lui et se blottissait à ses côtés. Il était le seul à l'attendrir, à l'apaiser, quelles que fussent les épreuves qu'ils traversaient ensemble.

Malgré ses soins, Shane avait perdu beaucoup de sang et la fièvre montait très rapidement. Ses plaies avaient rougies et le moindre mouvement lui tiraillait la peau et les muscles. Diana avait insisté à ce qu'il gardât le lit pendant plusieurs semaines et à ce qu'il se reposât le plus longtemps possible. Les conditions de survie étaient fragiles. La jeune femme changeait souvent ses bandages, surveillait l'infection des blessures, lui donnait à boire et à manger et l'aidait à supporter la douleur.

Le capitaine Ruthless s'impatientait. Cependant, Diana lui avait bien assuré que tant que Shane serait dans cet état, elle garderait le secret. S'il devait mourir, elle mourrait avec lui. En échange, elle avait fait un marché. Elle prendrait le rôle de Shane dans l'équipage et lui obéirait sans contestation. Les tâches étaient physiques, éprouvantes en temps de tempête, et dangereuses la plupart du temps. À force d'entraînement et d'apprentissage, elle s'adapta à la vie de pirate et se plia aux volontés de Ruthless, même si cela l'irritait. Quelques matelots lui avaient appris à se battre à mains nues, à manier un sabre, à tirer avec un pistolet à rouet, à lancer des poignards et à se suspendre dans les haubans. En quelques semaines, elle était membre à part entière de l'équipage du Seas Hunter.

Mais elle n'était pas comme eux et elle ne le sera jamais.

Plus le temps passait à bord du navire en compagnie des pirates, plus ces derniers la respectaient. Ils la considéraient comme l'un des leurs. Parfois, elle se battait en duel sur le pont avec eux lors des entraînements, jouait aux dés et naviguait avec l'équipage comme un seul et même corps. Ce qu'elle préférait, c'était remporter ses combats contre l'agresseur de Shane sous les rires humiliants des marins. Elle se sentait puissante, elle était un pirate, et cela ne plaisait aucunement au capitaine.

Diana appliqua un linge humide d'eau fraîche sur le front de Shane. Son état s'améliorait, il pouvait se mettre debout, mais elle refusait qu'il bougeât davantage. Pour lui, elle serait plus forte et, pour elle, il survivrait à ses blessures. La jeune femme lui devait bien ça : Shane l'avait protégée toute sa vie. À présent, il était temps qu'elle prît le relais d'ange gardien pour lui et qu'il se reposât enfin.

Elle se sentait plus sûre d'elle, plus libre et plus forte que jamais. Diana avait compris une chose durant toutes ces épreuves : elle était capable de tout, avec ou sans ses pouvoirs de sirène. Sa volonté de fer et sa force mentale forgées grâce à tout ce qu'elle avait vécu l'avaient fait grandir et avaient repoussé ses limites de l'esprit comme du corps. Elle se sentait elle-même. Un pirate.

La jeune femme nettoya le linge dans un seau d'eau douce et entendit les pas d'un homme pressé retentir dans les escaliers :

- Eh, il faut que tu voies ça ! s'écria le mousse. Le capitaine a besoin de tout le monde sur le pont.

L'intéressée hocha la tête et lâcha le linge en empoignant ses couteaux. Elle les enfila un à un sur son corset de cuir, dans ses bottes, et enfourna son sabre à sa ceinture. Diana regarda Shane une dernière fois avant de suivre le mousse avec précipitation.

Diana n'avait jamais révélé son nom et jamais elle ne le ferait. Sa véritable identité devait rester secrète pour sa sécurité et celle de ses proches. Personne n'avait jamais osé le défier avant elle, parce que tout le monde le connaissait comme l'un des pirates les plus impitoyables des mers. Cependant, Ruthless n'était qu'un capitaine comme les autres pour elle, un inconnu qui l'avait menacée et sous-estimée. Cela avait éveillé en elle une étincelle d'audace, une facette d'elle qu'elle n'avait jamais vu se dévoiler auparavant.