Chapitre huit : Souvenir d'enfance

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– Mère, pourrais-je aller jouer avec mon frère maintenant ? demanda-t-elle, la bouche encore pleine de mûres.

La petite Lady Diana était assise à l'autre bout de la table, recouverte d'une fine couche de tissu blanc, le repas était copieux et son ventre était enfin comblé. Il y avait là des pintades attrapées par son père et ses chasseurs, des fruits venant d'îles exotiques et des colonies britanniques des Indes, et du vin exquis des vignes magnifiques d'Angleterre. Des vases, remplis de fleurs blanches aux teintes rouge pâle et rosées, trônaient au centre de la longue table rectangulaire.

Sa famille était très admirative des roses, chacune d'elles était soigneusement entretenue dans les jardins à l'anglaise de leur demeure. Lady Diana et son frère, ainsi que ses deux sœurs, s'y promenaient chaque matin pour sentir sous leurs doigts la rosée matinale sur les pétales des fleurs. Ils aimaient se perdre dans les rosiers grimpants lorsque l'aube pointait son nez sur la ville de Londres et se miroitait sur la Tamise.

Sa mère tapota la serviette en tissu épais sur ses lèvres avec grâce tandis que son père décocha un coup d'œil furtif vers sa femme. Lady Blossom lança un regard méprisant en direction de sa fille. La petite Diana savait pertinemment qu'elle s'était trop goinfrée et cela la rendait furieuse. Ses grandes sœurs la dévisagèrent un moment, puis détournèrent les yeux. Lenora, la plus mûre des trois, continua son repas avec des manières de princesse et ignora les caprices de la cadette. Cependant, Elizabeth lui donna un coup sous la table en lui lançant un regard accusateur. L'aînée se renfrogna et imita sa mère en observant la petite Diana.

– Va, mais ne t'éloigne pas plus loin du jardin, dit sa mère d'un ton agacé tandis qu'un serveur versait du vin dans son verre en cristal.

La petite Diana finit d'enfourner les dernières bouchées de pain dans sa bouche déjà pleine, et, lorsqu'elle croisa le regard empli de dégoût de sa mère, elle se retint de ne pas recracher son repas dans l'assiette. Elle ne mangeait pas beaucoup à cause de sa mère, elle ordonnait souvent aux gouvernantes de servir de très maigres portions de nourriture. L'apparence, les courbes, l'attitude et la beauté étaient les premiers détails qu'observait la société chez une lady idéale. Les parfaites ladies à marier. Voilà à quoi était destinée la petite Diana, comme sa sœur Lenora qui épouserait un riche marchand de Londres lors de son dix-septième anniversaire, et Elizabeth après elle.

À cet instant, la petite Diana ne voulait pas y penser. Elle souhaitait simplement jouer dans les jardins du White cottage avec son frère et quitter cette table dénuée de vie. Personne ne parlait. Personne ne se regardait. Personne ne riait. Les valets et les gouvernantes baissaient la tête en direction de leurs souliers. Ils ne soufflèrent mots, tous alignés autour du festin comme de simples spectateurs. Un frisson parcourut l'échine de la jeune fille.

Lorsqu'elle ne supporta plus l'atmosphère du déjeuner, elle sauta de la chaise et courut à travers la salle tapissée pour rejoindre son petit frère. Il s'était réfugié derrière un arbre pour cueillir sur la pointe des pieds les quelques pommes assez basses pour sa petite taille d'enfant. Jack agrippa la branche en attrapant une pomme rouge sang et lisse qu'il croqua à pleines dents. Le jus coula le long de son menton. Il passa la langue sur ses lèvres avec gourmandise. Le sucre avait un délicieux parfum d'été. Son frère ricana en la voyant arriver, essoufflée comme un âne et affamée. Jack lui tendit un des fruits, puis elle mordit la saveur du soleil. L'arôme frais enroba ses papilles de délice.

Comme ils aimaient ce pommier !

Avec son jeune frère, lorsque leur mère leur interdisait certains repas avec sévérité, ils fuyaient dans les jardins et engloutissaient des pommes jusqu'à n'en plus pouvoir. Ils riaient de malice jusqu'à en avoir mal au ventre.

Le Chant des SirènesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant