Chapitre vingt-huit : Souvenir de la lettre

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Chaque matin, Lady Diana se réveillait à l'aube avant que les domestiques ne commençassent leurs tâches. Elle marcha à pas feutrés sur le parquet ciré et tapissé en allumant une bougie sur la table de chevet. Les murs étaient fins dans la demeure Blossom. C'était une vieille bâtisse, le moindre craquement réveillait tout le personnel. En silence, elle tira les rideaux de soie et ouvrit les fenêtres qui donnaient sur un petit balcon. Le vent hivernal s'engouffra dans la chambre et éveilla tous les sens endormis de la jeune femme. En contrebas, les jardins du White cottage s'étendaient jusqu'à la lisière des bois où une grille haute à pointes dorées délimitaient les vergers de la forêt.

Tirée de sa rêverie par le bruit de pas dans le couloir, elle lissa sa chemise de nuit et coiffa ses cheveux avant d'entendre la voix d'Emily.

- Milady, êtes-vous réveillée ? Je viens vous apporter un paquet.

Intriguée, Lady Diana resta pensive pendant quelques secondes, puis finit par ouvrir la porte à sa nourrice, tenant dans ses bras un long coffret garni d'un ruban bleu.

- Bonjour Emily, que vous amène-t-il si tôt ce matin ? demanda la jeune femme encore assoupie, les yeux plissés.

La gouvernante entra dans la chambre et déposa le paquet sur la commode avant de se tourner vers elle.

- Un coffret a été livré pour vous ce matin même, mais aucun nom n'y a été associé, reprit-elle d'un air curieux. Pardonnez-moi si je vous l'ai apporté trop tôt, mon désir de vous le faire savoir l'a emporté sur la patience.

- Ne vous blâmez pas, Emily, je suis heureuse que vous m'ayez informée si promptement ! sourit Lady Diana.

Emily s'inclina et lui sourit en retour avant de sortir d'un pas pressant pour continuer les tâches de la demeure. Lady Diana se retrouva seule dans la chambre, songeuse à propos de cette boîte. Serait-ce un cadeau de mariage de son fiancé ? La commande d'une nouvelle robe ? Pourtant, le paquet n'avait pas l'allure de ceux de la boutique de Lady Horshire ; alors, empressée de découvrir ce qu'il se cachait à l'intérieur, elle délaça le ruban et l'ouvrit. Ce fut avec une étonnante satisfaction qu'elle y trouva une lettre à son nom, décorée du cachet du duc Wilson. Sous celle-ci, des bottes d'équitation lustrées, une cape brune neuve et tout un ensemble d'habits de monte lui avaient été gracieusement offerts. Rayonnante d'estime pour lui, bien qu'un peu inquiète qu'il ait pris tant de risque pour lui faire parvenir un message, elle commença par décacheter, puis par lire la lettre, adossée près de la fenêtre tant elle rougissait.

Diana,

Pardonnez avant tout la liberté avec laquelle j'ose vous écrire pour quémander votre attention ; j'ai tant été pressé de coucher sur cette lettre tous les mots qui me venaient à l'esprit pour vous avouer à quel point mes sentiments envers vous sont bruts que j'espère ne vous avoir aucunement froissée par autant de défauts cavaliers. Ma conduite a été désinvolte à votre égard lors de ma dernière réception et je crains aujourd'hui encore de vous avoir offensée, vous qui êtes déjà liée à un homme que je ne pourrais égaler. Si dans cette explication et dans ces excuses des plus sincères vous décidez de ne plus m'apporter quelque tendre attention, sachez que, par l'honneur et le respect, je ne vous embarrasserai plus d'autant de sentiments imprudents et interdits. Vos manières ont été des plus délicates et des plus douces auxquelles mon cœur s'est adonné malgré lui, pourtant, il me doit de le rappeler pour notre bonheur mutuel. Mon amour pour vous n'est en moins affecté par ces devoirs, et ce désir me pousse si ardemment à écrire, jusqu'à ce que mes doigts ne puissent plus tenir de plume, que je suis dans l'impossibilité de demeurer muet plus longtemps. Vous imaginez alors à quel point ces mots écrits sur le papier me chagrinent tout autant que vous en la lisant. Peut-être me haïssez-vous en cet instant même, peut-être me croyez-vous dépourvu de toute humanité en vous affligeant une telle douleur ; quoi que vous pensiez, vous avez raison, Diana. Avant votre rencontre, je n'étais qu'un garçon orgueilleux, gâté par l'héritage de mes défunts parents, incapable de voir le monde, splendide et bon, au travers de vos yeux aux mille lueurs d'espoir. Dès lors, je n'ai plus cessé de penser à vous et je ne suis jamais tombé de si haut. Après tout, pourquoi appellerons-nous autrement l'injuste sentiment de tomber amoureux ? Vous m'avez envoûté malgré tous mes efforts pour y résister, comme un marin appelé par le chant d'une sirène, et désormais, le souvenir de vos lèvres restera gravé sur les miennes. N'ayez crainte en recevant cette lettre et ce flot de sentiments outrageants, laissez-moi vous parler en tête-à-tête pour justifier un tel comportement. Rejoignez-moi dans les bois le matin de la réception de ce courrier, sous le saule pleureur où nous nous sommes rencontrés pour la première fois : je viendrai prestement à vous.

Le Chant des SirènesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant