Comme chaque matin, Emily la revêtait de bas, d'une fine toilette blanche, d'un corset, d'un vertugadin et d'une robe bordée de dentelles. Tandis que les femmes de chambre finissaient de remettre en ordre son lit à baldaquin, de lisser les draps et de dépoussiérer les meubles, Emily, elle, l'observait du coin de l'oeil. Chaque geste paressait habituel, quotidien, mais ce matin-là était différent. La lumière douce de l'aube s'infiltrait au travers des rideaux légers de soie et un délicieux parfum de rose embaumait la chambre. L'hiver s'était éteint, la neige avait fondu et le ciel s'était éclairci d'un bleu éclatant. Les nuages, auparavant gris et lourds de flocons, avaient disparus en ce jour de printemps. Dans les jardins du White cottage, les premiers boutons de fleurs naissaient sur les cerisiers. Le soleil retrouvait de sa splendeur dorée et éclairait la demeure d'une coulée de miel.
Une magnifique journée, pourrait-elle penser. Pourtant, cette douce chaleur printanière ne la réjouissait plus. Les effluves de fleurs et de forêt la rendaient malade d'angoisse. Les rayons du soleil brûlaient sa peau comme des piqûres douloureuses. La délicatesse de la brise la faisait frissonner.
Plus rien ne serait comme avant, puisque aujourd'hui était le jour de son dix-huitième anniversaire.
Sa nourrice afficha un sourire exquis tandis qu'elle coiffait ses cheveux châtain. Lady Diana observa fixement son reflet dans le miroir de la coiffeuse. Sa chevelure ondulée tombait en cascade de boucles le long de son dos et de ses épaules nues. Devenue livide et froide, sa peau était dénuée de joie, ses joues perdant de leur couleur rosée. Seules les constellations de taches de rousseur préservaient son teint chaleureux, maintenant délavé. Ses yeux avaient perdu leur éclat habituel. Fatigués, vitreux, presque voilés, ils n'exprimaient rien d'autre que le désespoir et la résignation. Les doigts secoués de tremblements, elle les occupa en grattant la peau de ses mains. Elle gardait les marques ensanglantées des griffures des ongles dans ses paumes, dissimulées par les doux gants en satin.
Sa camériste, Lydia, entra dans la chambre avec un plateau garni d'un petit-déjeuner léger. Elle le déposa sur la petite commode, au pied du lit et salua la jeune lady.
- Lady Blossom a demandé à vous servir un petit-déjeuner menu, dit-elle d'une voix timide. Le dîner s'annonce copieux aujourd'hui en l'honneur de votre anniversaire.
Lady Diana hocha la tête sans un mot, ni même un regard en arrière, et la gouvernante s'en fut à pas feutrés en refermant la porte, suivie des femmes de chambre. Elle savait pertinemment que sa mère surveillait sa taille, sa ligne, ses courbes chaque jour. À chaque respiration. Aucune importance. Rien d'autre ne lui importait aujourd'hui que ce jour tant redouté. Dix-huit années de patience jusqu'à sa liberté, et, finalement, quitter une cage pour une autre.
Emily finalisa la coiffure tressée sur sa nuque avec des épingles, laissant tomber un rideau de cheveux enroulé de boucles le long de son dos. Elle ajusta sur ses épaules les manches bouffantes de dentelles de sa robe d'un bleu sombre comme la nuit. Quelques petits diamants blancs parsemaient le tissu nocturne en guise d'étoiles et étincelaient au moindre pli. Sa nourrice rayonnait de fierté.
- Qu'en pensez-vous Milady ? s'enjoua-t-elle en posant les mains sur ses bras. Vous plairez beaucoup à Lord Brandon Clay, c'est certain !
Lady Diana secoua la tête, comme si elle sortait de sa transe, et jeta un regard en coin dans le miroir. Elle croisa le regard pétillant de sa camériste dans le reflet, mais aperçut une lueur attristée dans ses yeux.
- Vous avez du talent, Emily, comme toujours, se força-t-elle à sourire.
Sa nourrice rit et sortit le collier de sa mère de l'écrin. La froideur de la pierre au contact de sa peau la fit frémir. Lady Diana se ressaisit et se leva en affichant un sourire éclatant sur les lèvres.
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Le Chant des Sirènes
ParanormalDoux sont les chants de la mer qui s'élèvent dans la nuit. La brume nébuleuse dévoile la beauté. Mais quiconque décochera un regard épris, Éperdu dans une dernière étreinte éthérée, Appartiendra aux abysses pour l'éternité...