Chapitre seize : Capitaine du Loyal Black

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Des jours entiers s'étaient écoulés, peut-être des semaines. Des heures interminables durant lesquelles Diana cherchait vainement le chemin pour retrouver l'île sur laquelle se terraient les pirates. L'île mystérieusement effacée des cartes où voleurs et bandits échangeaient leurs butins, vendaient leurs trésors volés en mer et repartaient chasser, comme des loups organisés en meute redoutable. Elle avait fini par perdre espoir, jusqu'à ce soir-là, où elle aperçut un phare resplendissant au loin balayer les vagues écumantes tel un radar menaçant quiconque s'approcherait trop près des récifs mortels. Le port était en pleine agitation, parsemé de lanternes vacillantes sur les navires prêts à quitter les quais d'embarquement et de déchargement. Des cloches tintaient lorsqu'un navire accostait ou lorsqu'un autre partait en mer, s'aventurant dans les vagues intrépides et imprévisibles de la nuit.

La sirène entendit la musique forte rythmer les pas enjoués des danseurs dans les bars et l'écoulement interminable de l'alcool dans les chopes. Les rires et les chants se mêlaient au dynamisme de l'île clandestine des pirates. Cet endroit ne semblait jamais endormi lorsque la nuit tombait sur la mer des Caraïbes.

Tapie dans l'ombre des récifs, près de l'île des brigands où l'animation paraissait s'éterniser, Diana observait scrupuleusement les silhouettes de quelques marins s'esquisser sur la plage plongée dans l'obscurité. La crique grouillait d'activité. Des barques se relayaient pour faire le tour de l'île en permanence. Un laps de temps permettrait à la sirène de se faufiler sur la plage, mais il était si court qu'elle craignait d'être aperçue avant même de fouler le sable. Elle attendit une seconde, puis deux, enfin trois, et se lança dans les abysses noirs de la mer. Sa vue précise et lucide lui était d'une grande aide. Dans le noir le plus dense, elle percevait distinctement les formes et les contrastes des lumières, comme les yeux d'un félin.

Alors que l'eau lui arrivait à la taille, les écailles qui la recouvraient se dissimulèrent sous sa peau comme si elle endossait un costume par-dessus sa véritable nature. L'éclat de bleu et de vert s'atténua peu à peu et une douce teinte beige remplaça les écailles rugueuses. Diana s'assura qu'aucun autre pirate ne se trouvait sur la plage et courut sur le sable chaud. Dans l'une des barques accostées, elle fouilla dans les petites cales cachées sous les bancs, où se trouvaient souvent quelques bouteilles de rhum, et y trouva par chance une longue chemise blanche avec un pantalon trop large. N'ayant plus assez de temps, elle enfila ce qui lui tomba sous la main et fila vers la ville en emportant au passage une petite gourde contenant un filet d'eau douce. Assoiffée par ces jours interminables de recherche, elle la vida d'une traite, puis l'accrocha sur la ceinture du pantalon.

Maintenant ?

La voix de Maria résonnait en elle comme un faible murmure lui rappelant pourquoi elle était là.

"Retrouve-le et tue-le... "

Diana chassa les pensées noires qui commencèrent à l'assaillir comme un cancer. Elle refusait d'écouter la voix de la raison, elle l'ignorait. Elle n'était pas venue pour cela. Maria le lui avait ordonné, pour la sécurité de toutes ses autres sœurs, mais elle lui demandait l'impossible. Elle n'avait jamais tué. Sans aucun doute, elle en était incapable. Peut-être avait-elle changé au cours de ces derniers mois, mais pas au point de tuer un être humain de sang-froid.

Shane n'était pas n'importe qui pour elle.

Secouant la tête, elle préféra taire la voix au fond d'elle et avança d'un pas décidé dans la ville bruyante du soir. Elle fut brusquement bousculée par des pirates ivres sortant des bars et s'effondra contre un mur sur lequel s'entassaient des caisses. Un choc remonta le long de son bras tel un courant électrique brûlant jusqu'à son épaule, mais elle se contenta de se relever et de regarder les hommes titubant partir au loin dans les allées boueuses. Elle s'appuya contre le mur de briques, sur lequel une trace rouge marqua la pierre dans son sillage. Elle releva alors sa manche avec empressement, la tête encore vertigineuse par le choc, et découvrit sa main ensanglantée jusqu'au poignet. Les caisses contenaient des bouteilles en verre vides, elle s'était coupée sur une multitude d'entre elles et avait brisé les lattes en deux. De l'autre main, elle arracha un lambeau de sa chemise et l'enroula précipitamment sur la plaie ouverte.

Le Chant des SirènesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant