Chapitre vingt-deux : Chasseurs des mers

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Revenu miraculeusement de cette tempête acharnée en mer des Caraïbes, le Seas Hunter était dans un piteux état. Le navire de la Compagnie des Indes avait fini par couler dans les fonds marins, ayant été assailli par l'artillerie lourde des pirates, mais le vaisseau ne s'en était pas sorti indemne malgré cette victoire. Les haubans avaient été arrachés, les voiles déchirées par les griffes des vagues, le pont réduit en amas de lattes éclatées et la coque transpercée de tous côtés. Après une longue nuit agitée de remous et de tonnerres, le capitaine avait pu reprendre la barre et se diriger vers la côte la plus proche grâce à sa boussole. Par chance, le navire avait atteint la côte colombienne à l'aube, à Santa Marta. Les marins faisaient le plein de vivres et de matériel.

Tout avait péri durant l'orage. Cependant, ils avaient réussi à voler des coffres inondés d'or, de nouvelles armes, des tonneaux remplis de poudre à canon et quelques bouteilles d'alcool avant que le navire ne s'abimât. Ces maudits pirates étaient prêts à tout pour l'or.

Pendant des jours entiers, dans le port de Santa Marta, s'ensuivaient réparations, repos et fêtes dans les tavernes avant de repartir en mer. Malgré les graves dégâts causés par la tempête, les pirates trinquaient à la fortune trouvée sur le vaisseau. Grâce à tout cet or, ramené par le navire revenant des colonies des Indes, ils avaient pu entièrement rénover les mâts calcinés par la foudre, remplacer les voiles réduites en lambeaux et réparer les cales inondées.

Pendant des heures, des jours peut-être, Diana avait été enfermée, surveillée de près et peu nourrie. Son ventre criait famine et ses forces diminuaient à chaque minute qui s'écoulait. Le capitaine l'avait maintenue prisonnière le temps qu'il décidât de son sort, mais c'était trop tard, elle était déjà morte. Ses mains tremblaient encore du souvenir du sang dégoulinant entre ses doigts. Des mains qui ne lui appartenaient plus, désormais. Elle restait recroquevillée dans l'ombre de la cellule, les genoux repliés contre sa poitrine, la tête cachée entre ses jambes. Les sanglots revenaient chaque nuit, violents, secoués de spasmes, et l'empêchaient de respirer. Chaque soir, les visages des marins tués se formaient dans son esprit, terrifiants, le regard accusateur et révulsé. Ils la pointaient du doigt, la traitaient de monstre et criaient sans cesse, encore et encore. Lorsqu'elle abaissait ses paupières, ils revenaient et la hantaient, et ce, pour toujours. Diana était coupable de ce massacre, de toutes ces victimes... Elle avait pris des vies, des âmes, et cela la torturait à chaque fois qu'elle fermait les yeux.

Un cliquetis de métal retentit près des escaliers. Diana recula au fond de la cellule, immobile, la tête enfouie entre les genoux. Un bruit de clé tourné dans la serrure de sa cellule crissa dans le métal rouillé, puis la grille s'ouvrit. Une ombre s'étala sur le sol, glissa près d'elle, et, lorsque la captive releva le menton, celle-ci se pencha vers elle.

Shane déposa un pichet d'eau et une maigre tranche de pain derrière lui et l'enlaça longuement, les bras l'étreignant comme un nuage de chaleur. La jeune femme se mit à éclater en sanglots et serra sa chemise de ses poings enchaînés. Les larmes s'écoulaient sur son épaule. Shane caressa ses cheveux tandis qu'elle plongeait le visage dans le creux de son cou. Il l'entourait de ses bras, l'empêchant de trembler. Shane écoutait en silence la voix de sa peine dans la mélodie de ses pleurs et lui donnait des bras forts sur lesquels s'appuyer, sur lesquels déverser tous ces flots de pensées.

Diana sentait sous ses doigts sa chemise humide de sueur, les muscles roides de son dos, les vertèbres de sa colonne vertébrale, la forme de ses omoplates, la chaleur de sa peau... En cet instant, ses émotions débordèrent, l'emplirent, se perdirent dans la douceur de ses gestes, dans les battements de son cœur, dans les tremblements à peine perceptibles de sa douleur. Elle se fondit contre lui, contre ce pilier qui la maintenait en vie, contre ce cœur battant de vie, et elle se laissa engloutir. La douleur laissa place au vide, au néant et au silence de son âme.

Le Chant des SirènesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant