Le soir tombait sur l'île de Black Sand en un voile bleuté se fondant dans le ciel. Le soleil crépusculaire coulait sur la mer comme de la lave en fusion. Quelques torches enflammées éclairaient la nuit sur la crique de sable noir. Le village de cabanes de bambous s'étendait jusque dans la forêt tropicale de l'île. À l'extrémité de la plage, un immense canyon aux falaises vertigineuses frayait un passage jusqu'à la mer. Ces roches formaient comme une entaille sur l'île, un point culminant sans compter le volcan au centre de l'île. Elles abritaient de longs canots et de légers voiliers de fortune, faits de lianes, de bois et de grandes feuilles pour aller pêcher.
Diana s'était aventurée dans cette partie de l'île avant que le soir ne tombât. Elle s'était engouffrée dans le canyon tandis que la lueur dorée du soleil couchant glissait sur les parois rocheuses ébène. Le canyon était creusé de grottes souterraines, causées par l'érosion et les vagues, inondées d'une eau filtrée par la roche, aussi claire que du verre. Les reflets du soleil teintaient les parois d'or et dévoilaient la roche couleur ocre sous les couches de lave noircies après l'éruption du volcan. Les cavernes, hérissées de stalactites et de stalagmites, étaient zébrées d'ondulations dorées du soleil miroitant sur l'eau limpide. Leur beauté était incomparable à la Grotte enfouie sous la mer des Caraïbes. Celles-ci étaient lumineuses, vastes et sculptées par l'écume, de véritables œuvres d'art sous les roches de l'île de Black Sand. Contrairement à la Grotte, le repaire des sirènes, qui dégageait une atmosphère lugubre, humide, sombre et froide, dans laquelle la lumière du soleil ne pouvait pénétrer les roches effritées par le sel.
Sur la grande plage de sable noir, les sirènes s'étaient réunies autour d'un feu de camp crépitant pour partager la nourriture qu'elles avaient chassée. Diana était occupée à dépecer les poissons tandis que Maria les embrochait au-dessus des flammes. Une délicieuse odeur de mer et de chair tendre embaumait l'air. La jeune fille en avait déjà l'eau à la bouche. Quelques femmes broyaient les plantes et les racines dans un bouillon chaud avec les restes de poisson. Le breuvage avait un drôle de goût, mais Diana s'en moquait. La chaleur lui réchauffait agréablement la gorge.
Près du feu, de grandes feuilles de bananier abritaient des noix de coco et d'autres fruits exotiques. À la fin de la soirée, les femmes servirent les fruits sous les rires cristallins des autres. Le sucre enchanta ses papilles et la revigora assez pour chanter et danser autour des flammes. Toutes se mirent à sautiller ensemble sur le sable chaud, à virevolter jusqu'à en avoir le tournis et à rire à gorge déployée. La joie qui émanait de chacune d'entre elles était communicative et vivante. Diana se sentait légère.
Lorsque la soirée toucha à son terme, le feu se consuma et toussota quelques braises ardentes qui réchauffèrent les mains de Diana. Toutes les autres femmes se reposaient dans leurs abris de bambous. Seuls le silence et le ciel tacheté de milliers de diamants étincelants lui tenaient compagnie.
Diana regarda les étoiles d'un air pensif. Leur éclat lui rappelait les yeux océan de Shane, cette étincelle dans son regard qui trahissait son air taquin et ce sourire qu'il arborait chaque fois qu'il riait. La douceur de la nuit avait la même caresse que ses bras autour d'elle. La brise marine l'enveloppait, comme son souffle chaud contre sa nuque. La chaleur du sable l'effleurait, peau contre peau, et le grondement de la mer, pareil au mugissement de son cœur, la faisait frémir. Elle toucha ses lèvres, désireuse de retrouver le goût des siennes et de sentir son corps contre sa peau. Le souvenir de leurs soupirs entremêlés, de leurs doigts entrelacés et de leurs corps enflammés fit battre son cœur comme un oiseau affolé.
Les pas feutrés de Maria sur le sable la sortit de ses pensées et Diana se mit à rougir ridiculement. Elle venait de se souvenir que les sirènes pouvaient deviner les pensées des autres. La sirène aux cheveux d'or rit aux éclats et se laissa tomber près d'elle, au coin du feu.
- Il te manque, n'est-ce pas ? dit-elle en souriant de toutes ses dents.
Son sourire paraissait illuminer la nuit.
- J'avais oublié à quel point l'amour était fort, reprit-elle. (Son sourire s'était évanoui sur ses lèvres.) Je comprends maintenant le choix que tu as fait et je le respecte désormais.
Diana haussa les sourcils, surprise par sa compassion.
- Je n'aurais jamais dû t'empêcher de partir et je ne ferai plus cette erreur, ajouta-t-elle en balayant le village sauvage d'un regard morose. Dès à présent, je laisserai mes sœurs décider de leur avenir. Après tout, qui suis-je pour les condamner dans une vie scellée sur cette île pour l'éternité ? Jamais je ne serai comme les hommes qui m'ont contrôlée, manipulée et soumise, durant toute ma vie en Espagne.
La jeune femme resta silencieuse.
- C'est grâce à toi, Diana, lui chuchota-t-elle en la regardant de ses yeux brillants. Tu m'as délivrée de cette noirceur qui m'habitait depuis la nuit où j'ai perdu mon âme. Ton caractère fougueux, sauvage et libre m'a rappelé à quel point je me trompais. Ton grand cœur et ta soif de vivre m'ont extirpée des ténèbres, là où je ne pensais plus jamais sortir... Tu étais cette flamme d'espoir dans les profondeurs dans lesquelles je sombrais lentement et tu m'as tendu la main dans le noir.
Les doigts de Diana vinrent se mêler aux siens.
- Diana, tu mérites tout l'amour du monde. Sans toi, je ne serai pas ici, à tes côtés, les yeux plongés dans les étoiles. Sans toi, j'aurais coulé dans les abysses et j'aurais rejoint les créatures des ombres, mais tu étais là. Tu nous as toutes sauvées du désespoir et tu nous as montré la paix que nous avions tant cherchée.
- C'est toi, Maria, qui m'a sauvée, confessa Diana en serrant sa main dans la sienne. Je vivais dans le déni, dans la peur, et tu as changé ma vie. Je n'imagine pas ce que je serais advenue si j'avais continué à fuir. Mon mariage aurait scellé la cage dorée qui avait été conçue dès ma naissance. Mon existence aurait été celle de l'épouse docile de Lord Brandon Clay, pas la mienne. Cette vie-là, je l'aurais subie, mais tu m'as aidée à déployer mes ailes. Grâce à toi, mes choix ont une importance, un objectif de liberté, et je t'en suis éternellement reconnaissante.
Elles s'enlacèrent tendrement, leurs larmes débordant en torrents sur leurs joues. Diana l'aimait comme une sœur. Une sœur liée par le sang, l'écume et les larmes. Toutes deux restèrent dans les bras de l'autre sous les étoiles, leurs cheveux emmêlés dans le vent et le sable noir, formulant une promesse silencieuse.
Les sœurs se protègeraient jusqu'à ce que la mort les séparât, jusqu'à ce qu'elles trouvassent la paix dans leur envolée vers le ciel.
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Le Chant des Sirènes
ParanormalDoux sont les chants de la mer qui s'élèvent dans la nuit. La brume nébuleuse dévoile la beauté. Mais quiconque décochera un regard épris, Éperdu dans une dernière étreinte éthérée, Appartiendra aux abysses pour l'éternité...