Chapitre quatorze : Sœurs de peine

25 1 0
                                    

Des gouttelettes tombèrent sur les joues de Diana. Elle était restée longtemps inconsciente, épuisée par son périple en dehors de la Grotte. Elle ne savait pas combien de temps elle avait laissé les autres sirènes sans nouvelle, ni ce qu'il lui était advenue durant ce vide noir grignotant sa mémoire. Pourtant, malgré sa lourde fatigue et son désespoir, les sirènes l'avaient retrouvée. La jeune femme était allongée contre un rocher au fond de la Grotte et jetait des regards inquiets autour d'elle. La pâle lueur de la lune s'infiltrait dans les fissures de la roche au-dessus d'elle et reflétait les parois noires luisantes de zébrures bleutées.

Diana se redressa brusquement alors que ses muscles protestaient de douleur. Elle voulut se lever, mais ses jambes avaient disparues sous les écailles éclatantes. Sa voix était entièrement brisée et seul un filet de murmure sifflant s'échappait pitoyablement de sa gorge. Elle perçut les sirènes se tourner vers elle et s'agiter pour prévenir Maria de son réveil. Celle-ci nagea dans l'eau noire de la Grotte pour la rejoindre et s'empressa d'examiner son visage, sa peau et son corps d'un geste maternel.

- Où étais-tu ? dit-elle d'une voix véritablement inquiète. Tu as disparu durant des semaines, qu'as-tu fait ? Comment as-tu pu risquer nos vies ainsi... ?

Sa voix se durcissait de sévérité et ses traits étaient tirés d'angoisse sur son visage angélique.

- N'essaye pas de me mentir, ajouta-t-elle sur un ton glacial qui la fit tressaillir.

Maria lui reprochait de ne lui avoir rien dit, d'avoir fui sans explication en risquant la vie des autres sirènes, mais étrangement, Diana ne regrettait pas son choix. Elle dressa la tête, haute et sûre d'elle devant Maria.

- J'ai décidé de fuir le massacre que vous avez toutes commis.

- Je t'ai ordonné de ne pas me mentir ! s'écria Maria.

Diana garda son sang-froid, elle avait assez enduré d'injustices pour laisser quelqu'un l'agresser par ses actes.

- C'est la vérité, affirma-t-elle, la voix sèche.

Les sirènes la fixèrent de leurs yeux liserés d'or. Elles semblaient à la fois envieuses et effrayées, désireuses de quitter cette vie dissimulée dans l'ombre, comme Diana avait osé le faire. Tourmentées par leurs souvenirs, elles étaient perdues. Leur vie n'avait plus aucun sens et ces femmes étaient condamnées à se torturer moralement chaque fois qu'elles fermaient les yeux, chaque fois que les ténèbres les enveloppaient.

Tremblante de haine, Maria agrippa le poignet de Diana et la tira dans l'eau pour l'emmener à l'écart. D'une poigne de fer, elle la guida vers la surface sans un regard en arrière, sans une seule justification. Effrayée à l'idée même d'être bannie de la Grotte à tout jamais, considérée comme un danger trop grand pour leur espèce, elle se demandait ce qu'elle deviendrait après cela. Diana n'avait plus personne. Elle avait perdu sa famille, son ancienne vie, la femme qu'elle était, une part de son âme... Mais surtout, elle avait renoncé délibérément à Shane, pour sa protection. Diana se demandait, anxieuse, s'il allait bien, s'il s'en était sorti, s'il ne lui en voulait pas. À chaque fois qu'elle pensait à lui, son cœur se serrait de culpabilité et d'un léger pincement d'espoir. L'espoir qu'il fût retourné sur la terre ferme, en lieu sûr et vivant. Le pire lui faisait frissonner de peur.

- Je sais que tu mens, Lady Diana, lança la sirène aux cheveux d'or.

- Ce n'est plus mon nom, maugréa-t-elle, froide et insensible à ses paroles. Je ne suis plus une lady, je ne le serai plus jamais.

- Je vous ai vus, trancha-t-elle en lui jetant un regard désolé, noir.

Diana en eut le souffle coupé, son cœur s'était brutalement arrêté de battre.

Le Chant des SirènesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant