Guide du super-vilain renommé [en pause]

Chapitre 10

J'en ai marre. J'en ai vraiment marre !

Déjà, depuis ce matin, je n'arrête pas d'entendre ce bruit bizarre, cette espèce d'alarme toujours plus forte, et j'ai l'impression d'être le seul à subir ça ! En plus, je n'arrive toujours pas à trouver où je l'ai entendu pour la première fois, chose très agaçante.

Et ce n'est pas tout - j'en ai aussi marre de ce soi-disant Zero, qui ne se montre jamais, qui fait dire à des gens dans la rue de me passer le bonjour et qui me donne sans explication tout l'argent nécessaire pour payer mes dettes médicales !

Et n'oublions pas l'horripilant Voiceless - qui refuse de laisser les honnêtes citoyens sortir dehors la nuit sans protection et qui déteste les axolotls, ainsi que ma supérieure Évangélise Swann, qui veut me faire travailler le JOUR DE NOËL ! UN SAMEDI !

Je mords une tomate. C'est froid. Dire que même mon fruit préféré ne peut pas me remonter le moral ! Je suis juste trop fâché.

Avant, le bruit de télé des voisins m'empêchait de dormir. Maintenant, je le trouve assez agréable, comparé aux hurlements que j'entends toutes les heures. Et je suis sérieux.

Je me redresse. J'ai besoin d'aller me défouler les jambes, tant pis si la salle de sport est fermée.

Comme toujours, les rues sont désertes, comme si j'étais seul au monde. J'entends des explosions au loin - des bagarres de super-héros à coup sûr.

Quand j'étais plus jeune, je trouvais ça vachement cool. Il y avait des justiciers en ville ! J'avais des figurines de Major M, un super-héros de l'époque, et mon père me disait toujours qu'il était impressionné par leurs actions. Ça ne l'a pas empêché de mourir, en été 2009.

Je dois avouer que ça m'a pas mal traumatisé. Ma mère avait toujours été trop faible pour élever un enfant, alors, comme toujours, elle a refusé ma garde. Je suis parti chez mon grand-père, dans sa petite maison où vivait déjà mon cousin, Aristide. Papi était un incompétent. Il ne prenait jamais ses responsabilités au sérieux, il préférait observer les étoiles et peindre. Il disait toujours des choses faussement intelligentes, mais il s'occupait très mal de mon cousin. Du coup, j'ai pris le relais. Je faisais la cuisine, le ménage, la lessive. Au moins, ça m'a appris à être indépendant.

Je saute dans un tas de neige. Fourmillement dans mes pieds. Je traverse la matière. Ça ne m'étonne même plus.

Même si tout m'énerve, je dois avouer que ce pouvoir d'intangibilité est très agréable.

Des affiches ont été placées un peu partout - de la propagande héroïque. Elles viennent de l'agence de justicier DreamLead, que je connais parce que Romane Miller, mon ex, y travaille. Les affiches souhaitent à tout le monde de passer de bonnes vacances. Cependant, en tant que super-vilain, je sais très bien qu'elles ont été créées dans le seul but de nous moquer et de retourner l'opinion public contre nous ! C'est pour ça qu'il y a un dessin caricatural de nous en bas à droite !

Offensé, je commence à arracher toutes les affiches que je vois - toutes en les gardant à la main pour les recycler plus tard. C'est là que j'entends un bruit derrière moi. Je me retourne, mais il n'y a personne. Ça devait être mon imagination.

Puis, d'un seul coup, il se met à pleuvoir. Quatres secondes plus tard, un éclair vibre très près. Je commence à rentrer quand le bruit qui me suit depuis hier résonne dans mes oreilles. Je me recroqueville par terre, les mains collées à la tête pour tenter de le calmer. C'est comme si une alarme me frappait les tympans et arrachait des morceaux de ma tête au passage.

Les secondes passent sans que je m'en rende compte, à la fois trop longues et trop rapides. Le son m'empêche de penser à quoi que ce soit, je peux presque sentir mes jointures hurler pour me distraire. Un goût de sang s'est répandu dans ma bouche car je mordais mes lèvres inconsciemment.

Le bruit s'est un peu calmé, alors j'en profite pour me relever et prendre le chemin de ma maison, la main collée au mur des maisons par peur de tomber.

D'où vient ce son ? Est-ce que je deviens fou ? Ou alors c'est un des effets secondaires de mon hospitalisation ? Dans ce cas, est-ce que je devrais subir ça encore et encore ? Est-ce que ça pourrait me tuer ?

Je pousse la porte de ma maison. Quel Noël pourri ! Au moins, l'alarme dans ma tête s'est calmée.

Je regarde mon téléphone. Un message.

Aristide : tout va bien ?

Je fronce les sourcils. Pourquoi mon cousin me demande ça tout d'un coup ? Hum, peut-être qu'il a été kidnappé par un agent du FBI qui m'a vu perdre mon sang froid tout à l'heure ? C'est étrange.

Moi : Oui pourquoi ?

Aristide : non juste comme ça

Cette réponse est très dérangeante, elle n'explique rien du tout.

Moi : Tu passes un bon Noël ?

Aristide : oui merci

Aristide : mon frigo a explosé ce matin

Aristide : un éclair vient de taper la maison c'était fun

Moi : oh

Moi : Ça arrive

Aristide a toujours été très malchanceux. À l'époque, il revenait souvent de l'école le cartable en feu, et on trouvait ça normal. On lui donnait tout le temps la pomme infectée à la cantine, le matériel d'escalade cassé. Ça n'a pas vraiment changé depuis.

Moi : Pourquoi tu me demandais si j'allais bien ?

Aristide : pourquoi ? j'ai pas le droit ?

Ça peut paraître anodin, mais j'ai attendu cette réponse pendant plus de douze minutes. Je présume que le lavabo a dû se briser. Néanmoins, en tant que cousin, je vais faire de même et prendre mon temps.

J'ouvre les réseaux sociaux, et je regarde mon fil d'actualité.

Il est vrai que je suis toujours toutes les publications de Romane Miller. Et non, ce n'est pas parce que je suis un stalker ou que je suis incapable de surmonter notre rupture. C'est juste que j'aime bien savoir comment elle va. Même si elle m'a insulté et traité de taré. Alors au final, ce n'est pas moi qui me comportes mal, non ?

Tiens, elle s'est abonné à quelqu'un ! Cool pour elle ! Qui c'est ?

J'appuie sur le profil de la personne, et je m'étouffe avec l'air que je viens d'aspirer. Cette tête, cette tête... C'est Voiceless !