L'arche des destins

Chapitre 32

Je me réveille en sursaut. Dans ma tête, je revois les images qui ont hanté mes nuits. Je me rappelle avoir été dans le laboratoire. J'inspectais les bacs de croissance, et voilà que dans celui qui faisait face à l'ours, un cœur humain battait, répandant le son monochrome dans toute la salle.

J'essuie la sueur sur mon front. Tara dort paisiblement à côté. Jade a pris toute la couette.

Il est sept heures du matin, donc je peux me lever directement sans culpabiliser.

Plus j'avance dans la journée, plus je repense à mon rêve.

Alors que je pense peut-être refaire une visiste au laboratoire, pour vérifier qu'il n'y ait pas de cœur humain en train de grandir dans notre navire, je suis interceptée par un message de Elodie.

"URGENT, viens salle des archives" a t-elle écrit en lettre majuscule et avec beaucoup de points d'exclamation. Je suis soudain inquiète et appuie donc sur le bouton contraire de l'ascenseur, qui fait donc le yoyo.

Arrivée dans la salle, je l'appelle ;

— Élodie ? Tout va bien ?

— Je suis là !

Elle ramène ses tresses derrière son dos.

— Qu'est ce qu'il se passe ?

Elle me mime la scène qui vient de se produire.

— J'étais en train d'épousseter le placard, pour y entreposer les roches et j'ai dû enclencher un mécanisme car...

Elle pousse contre un pan de mur. Et une nouvelle salle de l'Arche se révèle.

— Je voulais pas y entrer seule, je trouve ça trop effrayant.

— Je comprend.

Nous entrons, prises de curiosité. La salle s'étale sur toute la longueur, comme un immense couloir de plusieurs centaines de mètre. Et sur les murs, des étagères du sol au plafond, couvertes d'ouvrages, de parchemins, de dossiers, de classeurs.

— Une vraie salle des archives, cette fois, je murmure.

— Il faudrait cent ans pour lire tout ça !

— Ou pour en découvrir l'essentiel, une équipe de six personnes, je dis en envoyant un sms aux autres.

J'ai mal aux doigts à force de feuilletter les pages. Je dois faire attention, car certaines sont tellement fragiles qu'elles semblent prêtes à tomber en morceaux entre mes mains.

— Vous trouvez des choses intéressantes ? Demande Jade.

— Tout est intéressant, je dis en regardant des anciens dossiers policiers de "Cold case?".

— Et vous devriez voir ça, dit Taïs en poussant vers nous un énorme classeur.

Je lis l'intitulé sur la tranche du dossier.

"2nde Guerre Mondiale"

— Qu'est ce que la Seconde Guerre Mondiale ?

— Aucune idée, dit Noé qui pourtant est celui qui s'y connaît le mieux en histoire.

Nous découvrons alors qu'une partie de notre histoire nous a été caché. On nous a enseigné les grandes civilisations romaines et grecques, les traditions monarchiques, et l'évolution du droit des femmes.

Mais jamais on nous a mentionné autant de violence.

Je sens mon estomac se retourner quand je vois par dessus l'épaule de Taïs des images de personnes presque squelettiques.

Et durant la soirée, nous apprenons donc qu'il y a eu la première guerre mondiale. Le génocide du Rwanda. L'attaque de la Russie sur l'Ukraine. Des attentats. Des milliers de morts.

On ne nous a jamais dit qu'il y avait eu autant de violence dans l'histoire humaine. Et surtout, autant de violence injustifié.

Plus tard, après avoir pris le temps de digérer ce que nous avons découvert, la conversation se relance entre nous. Nous sommes dans le salon, et Taïs est le premier qui met des mots sur ce que nous pensons tous.

— Je comprends mieux pourquoi on a pas prévenu la population du déluge. Les gens ne sont pas altruistes de nature, et ça aurait pu tourner à un désastre.

— Dans un sens, l'humanité est son propre vice. Et le vice de la planète.

— La Terre serait mieux sans.

Ça me fait mal de le dire. Moi qui ai toujours été une humaniste dans le fond, voilà que je vois l'être humain en son entier, dans ses qualités, mais aussi dans tout le mal qu'il a fait.

Je croise le regard de Noé, et pour une fois, j'arrive à le comprendre. Car je viens de perdre foi en l'humanité.

Voilà que tout s'accélère. La conversation passe de simple discussion éthique à promesse.

La promesse d'être les derniers humains sur Terre.

Et là, je vois Logan tiquer.

Dès que chacun se disperse à nouveau à ses activités, voilà qu'il trouve la première excuse pour se rendre au laboratoire.

— Logan ?

Je le rejoins avant qu'il n'ait eu le temps d'atteindre l'ascenseur.

— J'ai remarqué que tu avais développé une nouvelle cellule oeuf. C'est à la demande de quelqu'un ou c'est une initiative ?

Il blémit.

— Tu as le droit de faire tes propres expériences, je le rassure. C'est juste que ça m'intriguait !

— Laisse tomber, dit-il alors que les portes de l'ascenseur s'ouvrent. Je vais abandonner ce projet.

— Quel projet ?

Je sais que je force, et qu'il ne cherche qu'une chose, fuir mon interrogatoire.

— Laisse tomber, vraiment.

— Je ne dirais rien aux autres si tu veux le garder secret. Mais je trouve ça dommage de gâcher une cellule oeuf, elle était en très bon état et avait un stade de développement avancée.

D'ailleurs, quand nous arrivons devant le bocal, je vois qu'il s'agit maintenant d'un foetus. Forcément, cette accélérateur de croissance a fait passé la cellule œuf à un stade supérieur de son développement.

Alors, maintenant, je peux identifier plus facilement de quoi il s'agit. Un mammifère, de sûre. On dirait un petit singe.

— Non, je dis en me rappelant mon rêve.

Logan fait une grimace.

— Je voulais voir si j'allais réussir avant de vous en parler.

— Mais comment as tu pu... ?

— J'ai récupérer un fragment de mon ADN que j'ai dupliqué. Mais maintenant qu'on a promis d'être les derniers, je dois abandonner toutes mes recherches.

— Attends, je dis avant qu'il ne débranche l'incubateur.

Car ce petit être flottant, bien qu'il appartienne à une espèce qui a détruit la planète, est aussi un être innocent qui vient de naître.

Comme m'a dit Elodie il y a quelques jours, il n'y a pas de blanc ou de noir, seulement du gris.

Et si j'ai blâmé Noé pour avoir détruit un équipage, qui suis je pour décider de la mort d'un embryon.

— Tara aimerait avoir un petit frère.