Chapitre 22

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Je suis assise contre la rambarde du bateau. Sous la pluie. Mais je ne ressens même pas les gouttes qui percutent mes épaules.

Je suis effondrée.

Quand Jade nous a annoncé la vérité, j'ai cru au début qu'elle nous faisait une mauvaise blague. Mais la seule mauvaise blague a été d'être aussi naïve et d'être un jour entré dans ce bateau.

J'ai dû essayer d'appeler mes parents cent fois.

Mais comme je m'y attendais, nous n'avons plus aucun moyen de faire le lien avec la terre ferme.

Et le bateau m'éloigne inexorablement de ma famille.

— Clarisse ?

C'est Noé qui jaillit encore une fois, comme de nul part. D'habitude, j'aurais été ravie de le voir. Mais là, j'ai juste envie qu'il parte et me laisse seule. C'est fou comme ce que je ressentais pour lui semble minuscule à côté de la nouvelle que nous venons d'avoir.

L'orage continue de gronder. Pour le moment, si la pluie est disparate, je sais que ça ne durera pas longtemps. Que bientôt, elle deviendra lourde, un vrai déluge, qui fera monter les océans, inondera toute terre habitable, jusqu'à ce qu'il ne reste rien.

C'est ce que les scientifiques ont découvert, il y a un mois. Une grave perturbation météorologique inexplicable. Alors, il a fallu réagir. Comment faire survivre tout leur travail ?

Un bateau. Une Arche. Mettre tous les éléments qu'on a récolté de la Terre depuis la création de l'Institut. Pour qu'il garde la mémoire de tous les êtres qui ont pu un jour y vivre.

La vraie question, celle qui dépasse mon entendement, c'est pourquoi nous avoir choisi nous ? Pourquoi seulement 6 personnes ? Et pourquoi six adolescents ?

Les scientifiques se sacrifient-ils vraiment ? Vont-ils rester sur terre sachant que celle ci va bientôt disparaître ? Ou existe t-il d'autre bateau ?

Aucune de ses réponses ne se trouve dans ce que nous a lu Jade.

— Il faut trouver un moyen de faire demi tour, je dis finalement à Noé qui s'est assis à côté de moi. Prévenir nos familles et les faire entrer dans le bateau.

Il reste stoïque.

— Ça ne te fait rien, à toi, de savoir que toute ta famille va mourir noyée ?

— Ma famille ne mérite peut-être pas d'être sauvée, finit-il par dire.

Aussitôt, je regrette mes paroles sèches.

— Qu'est ce que tu veux dire ?

— C'est long à expliquer.

— Ce n'est pas comme si on avait pas le temps. On est coincé sur un bateau de toute façon.

Il soupire.

— On devrait peut-être rentrer déjà, tu vas attraper un rhume sous cette pluie.

Avant qu'il n'est le temps de se lever, je lui attrape la main, pour qu'il reste près de moi.

— Non, j'ai envie de rester sous la pluie.

Je sais que mes cheveux sont dégoulinant, que mes vêtements ressemblent à présent à des éponges, et que mes pieds dans mes chaussures sont trempés. Mais je m'en fiche.

— Raconte moi.

Étonnamment, il ne bataille pas plus. Et même, il ne dégage pas sa main de la sienne. Justement, j'ai même l'impression qu'il la serre un peu plus, comme pour se donner du courage avant de commencer son récit.

Voilà ce que j'apprends : ses parents n'ont pas fait un mariage heureux, et ont commencé à être très violents l'un envers l'autre, déjà alors que Noé était enfant. Noé a eu une petite sœur, Aurora. Lors d'une dispute, Aurora a été blessé sévèrement. Elle n'avait même pas un an, et la blessure lui a été fatale. Depuis qu'il a dix sept ans, Noé a fait une demande d'émancipation au gouvernement, et vit en internat à l'université de Pita.

— Et tu as revu tes parents depuis ?

— Ils ont essayé de reprendre contact avec moi, mais je n'ai jamais voulu les revoir. Ils ont toujours dit à tout le monde qu'Aurora est tombée de son berceau, mais moi je savais. Et ça m'a toujours rongé, surtout d'avoir vu ça de mes propres yeux. Elle aurait eu treize ans aujourd'hui, si elle était toujours vivante. Donc non, mes parents ne mériteraient jamais d'entrer dans ce bateau. Et surtout, cela pourrait être dangereux. Ce ne sont pas de bonnes personnes, il pourrait mettre en péril tout le projet...

Il voit la colère dans mes yeux quand il dit le mot projet, alors se ressaisit :

— Même si on nous a menti, n'empêche que nous ne pouvons pas menacer tout ce qui a été entrepris. C'est trop important...bien plus important que nous même.

Ses mots me rappellent ceux de Caroline. Maintenant, tout semble s'assembler. Tous les sous entendus de Caroline, d'Antonio, d'Anastasia.

— Donc Aurora n'est pas une déesse d'il y a deux mille ans ?

Noé s'esclaffe.

— C'est une déesse...mais c'était aussi ma petite sœur.

Je cale ma tête au creux de son cou, en profitant pour sentir l'odeur mentholée de son T-shirt.

— Tu n'es pas assez trempée comme ça ? Il me demande.

— Si, on devrait rentrer se sécher.

Il se relève et cette fois c'est lui qui me tend la main, pour m'aider à me remettre sur pied.

Dans la salle commune, je remarque qu'Elodie a les yeux rouges. Logan et Taïs discutent bruyamment. Je ne sais pas vraiment où aller, vers qui me tourner en premier.

— On a essayé de joindre le gouvernement. Mais ils ne répondent pas. Au moins, le message a réussi à s'envoyer.

— Est ce que tu pourrais pirater le navire pour le faire retourner au port ?

— Cela pourrait me prendre des jours. D'ici là, on serait déjà trop loin.

— Vous ne pensez pas que les gens vont être suffisamment intelligents pour se réfugier dans des bateaux ?

— Sauf si le gouvernement les en empêche, dit Jade. Ce qui est tout à fait plausible. J'ai continué de lire la correspondance entre les scientifiques et voici ce que Maureen, le moniteur qui suivait Noé a écrit :

Ce déluge est au final peut-être providentiel. Il permettra peut-être à l'humanité de se purger de ses vices. Il faudrait trouver des individus capables d'oublier leur égo et sentiment d'individualité pour pouvoir se mettre au service de la science. Des jeunes qui auraient toute leur vie devant eux. L'humanité s'en porterait mieux, après cette pluie éradicatrice.

— C'est presque radical, commente Taïs.

— Donc l'Arche n'est pas seulement la solution au problème de la Pluie, s'exclame Jade. C'est aussi l'opportunité de ne garder qu'un infime échantillon de l'humanité, pour enlever tous les autres, et espérer que les générations futures seront meilleures.

Cette échantillon. Je regarde le petit groupe que nous formons, rassemblé dans cette salle aux allures de château fort. Nous sommes l'échantillon humain. 

L'arche des destinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant