Chapitre 6

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 La date où je dois me rendre sur l'Arche est fixée au premier juin. Il est inscrit que je n'ai pas besoin de prendre de vêtements, de produits d'hygiène ou d'appareils électroniques, car tout sera fourni sur place. J'ai donc rempli une valise de vieux livres que nous gardons chez nous, de manuels scientifiques, de plusieurs carnets multicolores, mes documents d'identifications.

Cette nuit-là, j'ai du mal à m'endormir. Je me tourne et retourne dans mon sommeil, cherchant une position qui me permette d'être recueillie dans les bras de Morphée.

Finalement, je ne sais comment, je parviens à basculer dans le sommeil.

Quand je me réveille, les chiffres lumineux de mon réveil de table de chevet m'accueillent. Il est six heures quarante. Au début, j'ai du mal à distinguer le rêve de la réalité. J'ai encore fait un rêve qui mélangeait un bateau, des expériences sur des animaux, mes parents sur une bouée... Bref, un vrai capharnaüm qui ne fait qu'augmenter mon angoisse face à l'inconnu de cette journée.

Je reste allongée quelques secondes, car mon corps est encore engourdi par la fatigue. Au bout de quelques minutes, je me dis qu'il faudrait peut-être me bouger, sinon je vais être en retard. Je me redresse. Mon regard se pose sur ma valise, au pied de mon lit. Elle me ramène tout de suite à la réalité. Je repousse mes couvertures et me lève enfin.

J'allume les enceintes de ma chambre. L'IA 4000 résonne entre les quatre murs de ma chambre. Je décide d'aller prendre une douche pour réveiller mon corps et mon cerveau. La douche s'active automatiquement quand je mets un pied à l'intérieur du réceptacle. Elle mesure mon niveau de saleté : 30 % de transpiration, indique l'écran. Elle me propose ensuite trois parfums : lavande, noix de coco ou jasmin. Je clique sur noix de coco, mon préféré.

Le jet sort du pommeau, à la parfaite température, et diffuse une brume à l'odeur de noix de coco, qui vient se déposer sur ma peau pour y enlever les peaux mortes et les microbes.

Je me sèche rapidement et enfile des vêtements confortables, car nous allons quand même faire une heure de route en voiture. Mon père a pris un jour de congé pour pouvoir me conduire jusqu'au port de l'Illa Rossa.

Mes parents sont dans la cuisine. Ma mère me tend un bol de céréales multi vitaminées. Je la remercie et en prend quelques bouchées, malgré mon estomac qui ressemble à un nœud de lacet tordu.

Notre interphone sonne. Je sursaute.

— On attend quelqu'un ? je demande

Sans me répondre, mon père active l'ouverture de la porte. Alexandra surgit dans la cuisine.

— Salut ! Tu pensais quand même pas partir sans me dire au revoir !

Je la serre dans mes bras.

— On s'est quand même fait nos adieux au téléphone pendant une heure hier soir, je lui dis.

— Vaut mieux deux que seulement un adieu. Et puis, tu devras me dire à nouveau au revoir car je t'accompagne aussi au port.

Je regarde mon père pour savoir s'il était au courant.

— Mais, tu n'as pas cours ce matin ?

— J'ai dis que j'avais une gastro.

Nous descendons donc tous les trois jusqu'au garage souterrain. Le bruit feutré de nos pas résonne dans le vaste espace. La voiture de mon père est un modèle blanc tout en longueur. Mon père la débranche du spot d'électricité et la déverrouille avec l'empreinte de son pouce.

— Je me mets derrière avec Alexandra, je lui dis en lui laissant ma valise.

Il case le bagage dans le coffre, tandis que nous nous installons sur les sièges arrières.

— J'adore jouer avec les petits boutons. La voiture de ton père est tellement bien, dit Alexandra en appuyant sur les petits interrupteurs près de la portière.

Je sens mon siège se chauffer doucement. Puis, un courant d'air au-dessus de ma tête. Une lampe s'allume vers l'avant de la voiture. De la musique retentit.

— Bon j'arrête mes bêtises, dit Alexandra. Je suis en train de me cramer les fesses.

Elle éteint le chauffage des sièges.

La voiture démarre silencieusement. Nous sortons par la porte Est du garage souterrain, qui nous projette directement au coeur de la ville.

« Quelle est votre destination ? » demande la voiture.

— Port d'Illa Rossa, dit distinctement mon père.

Un point rouge apparaît sur le GPS accroché devant. Un chemin bleu scintillant se dessine sur l'écran, entre notre position et le point d'arrivée.

« 1 heure 30 de trajet » nous informe la voix robotique. « Voulez vous activer le pilotage automatique ? »

Mon père clique sur l'écran.

Le trajet est agréable, ponctué par les blagues d'Alexandra et les questions de mon père.

Bientôt, nous sommes en dehors de la ville. De gigantesques serres se dessinent dans le paysage. Le soleil ricoche sur le verre, je suis obligée de tourner mes yeux pour ne pas être aveuglée.

Quand nous approchons de la côte, la voiture nous signale que nous somme dans une zone de pollution moindre.

« Souhaitez vous désactiver le filtrage d'air ? » demande la voix automatisée de la voiture.

Mon père tourne la tête vers nous.

— Que diriez vous de sentir un peu l'air marin ?

Nous acquiesçons, ouvrant nos fenêtres. Un vent frais s'engouffre aussitôt dans l'habitacle. Je suis obligée de ramener mes cheveux derrière mes oreilles car ils volent devant mon visage. L'air est chargé d'humidité, comme s'il transportait un bout de l'océan avec lui. Un parfum d'iode, de sel, qui pique un peu le nez.

— Là, on voit l'océan !

Je montre à Alexandra et à mon père la surface bleue à l'horizon, qui se dégage derrière quelques bâtiments, et qui semble infinie contre le ciel.

Les vagues dansent, créant un motif changeant sous les lueurs du soleil.

Nous arrivons près d'un barrage. Un agent de sécurité reconnaissable à son uniforme noir et à son badge doré s'approche près de la voiture.

— Bonjour, vos papiers d'identité s'il vous plaît.

Je sors ma carte d'identité et la lui tend. Mon père et Alexandra font de même.

— Ma fille a été convoqué ici par l'Institut de Recherche en Biodiversité, l'informe mon père.

L'agent scanne le code barre de ma carte.

— C'est bon vous pouvez passer.

La barrière s'ouvre. Cinq minutes plus tard, nous sommes devant une seconde barrière, qui se contente de photographier la plaque d'immatriculation de la voiture avant de s'ouvrir. Juste derrière, il y a un parking de quelques places, vide à l'exception d'une vieille voiture garée au fond. Un panneau nous indique que l'accès au port se fait à présent uniquement à pied. Mon père se gare.

Je sors ma valise du coffre et détend le manche pour la rouler derrière moi. Nous longeons le chemin, sur une promenade bordée de palmiers, qui nous offre une vue imprenable sur de gros navires de commerce. Je dois me tordre le cou pour observer les conteners empilés les uns sur les autres. Les roues de ma valise ricochent sur les galets du chemin.

Ce n'est que quand nous passons ces gros bateaux que nous voyons enfin apparaître, juste derrière, l'Arche, qui n'a rien à envier aux navires de commerce. Mélange de bois et d'acier, il semble tout droit sortie des eaux, tel un Titan qui nous plongerait dans l'ombre.  

L'arche des destinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant