L'arche des destins

Chapitre 20

 — Et merde ! C'est la troisième fois que j'essaye d'appeler mon copain et ça raccroche immédiatement.

Jade jette son téléphone un peu plus loin sur le canapé.

Cela fait deux jours que nous n'avons plus contact avec l'extérieur. Plus possible d'aller sur les réseaux sociaux, regarder l'actualité, ou contacter nos proches. Nous sommes comme coupés du monde extérieur.

Je jette un regard à la dérobé à Noé, qui a commencé un nouveau livre. Depuis la dernière fois, on ne s'est plus vraiment reparlé. Je sais juste que lui et Taïs sont en dispute, et que Taïs a définitivement emménagé dans la chambre de Logan.

Je vérifie les tâches importantes du jour.

En plus des contrôles habituels, aujourd'hui je vais devoir surveiller le développement dans le laboratoire de nos premiers prédateurs carnivores.

Les embryons baignent dans des liquides nutritifs, comme s'ils flottaient. Le plus impressionnant est un renard roux, qui fait déjà quelques bons centimètres. Sa queue touffue commence à se développer, et il est bien reconnaissable à son long museau. Dans un ou deux jours, nous pourrons l'introduire dans la Forêt de France.

Quelque chose se déplace derrière moi, au niveau de mes chevilles. Je sursaute, et me tourne vers l'assaillant.

— Plume, tu m'as encore fait peur !

Le chat miaule et saute sur une table pour être à ma hauteur.

— Tu devrais mieux l'éduquer, je dis à Logan. Il risquerait de faire des bêtises.

— Dis celle qui pour le moment a fait bien plus de dégât que le chat.

J'approche ma main du museau du félin. Mais celui-là n'est pas encore habitué à être caressé, et préfère s'échapper pour se balader sous les bureaux.

— Tu devrais mieux le laisser dans les quartiers toute la journée, je dis à Logan.

— Il est malheureux quand il est loin de moi.

Je regarde le chat qui vit sa meilleure vie sans se soucier de notre présence.

— Tu veux plutôt dire que tu es malheureux quand il n'est pas là. Je crois que lui il s'en fout.

— Les chats sont des êtres extrêmement intelligents. Les égyptiens les prenaient même pour des divinités. Ce chat m'inspire.

— Je vois que tu as fait des recherches.

— En tout cas, il est mieux que dans sa petite cage riquiqui.

— Tu te souviens de la tête de Noé quand tu l'as ramené dans la salle commune l'autre jour ?

Logan rigole.

— Oui. En même temps, ça me faisait mal au coeur de le voir tous les jours me regarder à travers les barreaux.

— Je comprends.

Le serpent et les oiseaux ont été réintroduits depuis longtemps, mais le chat est un peu trop élevé dans la chaîne alimentaire, et il aurait dû encore patienter. Mais Logan a décidé autrement de son destin, en lui donnant l'attribution d'animal de compagnie de l'équipe.

Son nom a été facile à trouver : ce chat peut bondir comme s'il ne pesait aucun poids, comme si la gravité n'avait pas d'effet sur lui, aussi léger qu'une Plume.

Le soir arrive vite, et la fatigue aussi. Je suis tellement épuisée que je décline la partie de jeux de société que commencent les autres et préfère somnoler sur le canapé. En ce moment, des nuages couvrent une bonne partie du ciel, et j'ai l'impression que le manque de soleil joue sur mon moral.

Mes paupières se ferment tout doucement, alors que ma tête devient lourde et s'enfonce dans l'oreiller.

Et puis je reprends conscience d'un coup.

Il n'y a plus beaucoup de lumière, et tout le monde est partie. Je devrais aller rejoindre mon lit. Je m'étire, me lève, et m'approche de la fenêtre. Il a commencé à pleuvoir. Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment là, un mauvais pressentiment s'empare de moi, en voyant cet amoncellement de nuage, et la mer déchaînée qui fait tanguer le navire.

— Tu ne dors pas encore ?

Je me tourne vers Noé qui vient d'entrer dans la pièce.

— Et toi ?

— J'avais oublié mon téléphone.

En deux pas, il a rejoint la table de chevet, et prend son smartphone qu'il met dans sa poche de pantalon.

— Ca va ? Dit-il en voyant mon visage songeur.

— J'avais comme un mauvais pressentiment, pendant une seconde, mais c'est parti maintenant.

Il hoche la tête.

— Bonne nuit alors.

J'aurais aimé qu'il reste, et j'ai l'impression qu'une occasion m'a encore échappé.