Je ne sais pas comment, mais je réussis à m'assoupir.
Quand je me réveille, quelques heures plus tard, j'ai la sensation étrange d'émerger d'un brouillard. Au début, je ne me souviens plus pourquoi je me sens aussi pâteuse. J'ai l'impression de sortir d'un cauchemar. Et, alors que je reprends conscience, le sentiment d'entrer dans un autre cauchemar, bien plus réel.
Et puis, il y a ce bruit assourdissant. On ne s'entendrait même plus penser. Je me rends alors compte que c'est la pluie, qui ce matin, a redoublé de volume. Cette fois, plus question d'aller sur le ponton, sous risque de se noyer sur place. J'ai même peur que le bateau ne tienne pas : on dirait qu'il reçoit une tonne de coup sous les martèlements des gouttes de pluie.
Dans la salle commune, je me roule en boule dans la couverture, et tente de me connecter à l'actualité. En vain. Mon regard tombe sur un objet sur la table de chevet. On dirait le livre que lit actuellement Noé. Dessus, un petit mot.
« Quand le réel devient trop douloureux, les livres peuvent toujours servir d'échappatoire. Crois en mon expérience ».
J'arrive à sourire. Parce que même si les attentions de Noé arrivent au pire moment, elles sont quand même là, et cela permet de ne pas me perdre complètement dans ma douleur.
Et c'est de lui que j'ai besoin.
Je toque à la porte de sa chambre, sachant que Taïs dort toujours dans celle de Logan.
Il doit être réveillé depuis longtemps, car il ouvre en quelques secondes.
— Salut, dit-il avec la voix encore enrouée par le sommeil.
— Je peux entrer ? Je demande
— Bien sûr.
Il me laisse pénétrer dans la chambre. C'est la première fois que je m'y invite, en tout cas, c'est la première fois qu'il y a assez de lumière pour que je puisse l'observer.
Noé a une tonne de livres, qui traînent un peu partout, même dans sa penderie, à la place des chemises. Ses vêtements sont correctement pliés. Il retourne dans son lit et s'assoit contre le mur, étendant ses jambes face à lui.
— Viens, dit-il
Je m'installe contre lui. Il caresse mes cheveux doucement, comme pour ne pas me brusquer.
— Ca va mieux ?
— J'ai l'impression que c'est encore pire, parce que maintenant que mes émotions sont retombées, je suis complètement consciente de ce qu'il va se passer.
Car ma colère d'hier, et ma peur, était comme un anesthésiant qui rendait ce que je venais d'apprendre lointain et irréel.
Noé me laisse parler. Je dis tout et rien à la fois, simplement expulser mes pensées me permet de me détendre un peu.
— J'en ai marre de ne rien faire, je dis au bout d'un moment. Il faudrait que je me tienne occupée toute la journée, sinon je vais péter un câble.
— Si tu veux il y a des nouvelles germes à planter. Si tu veux ne pas avoir les mains vides, c'est plus que parfait.
— Ca me semble bien.
Malgré cette résolution, nous restons encore un peu allongés. Je sens son cœur contre mon dos, les battements réguliers. La chaleur de son corps qui irradie contre moi. Je me demande ce que nous sommes, l'un pour l'autre. Bien que j'ai l'impression d'être plus proche de lui que jamais, j'ai aussi le doute, car je n'arrive pas à mettre de mots dessus, et lui ne semble pas prêt à le faire aussi.
Et je sais que je suis trop timide pour faire le premier pas.
J'enfile mes lourdes bottes en caoutchouc et une salopette en toile épaisse.
Sentir la terre sous mes ongles, ce contact avec quelque chose de tangible, permet de m'apaiser. Un bref instant, car la pluie me rappelle sans cesse le destin qui nous attend.
— Tu sais, me dit Noé au bout d'un long moment de silence, Aurora veut aussi dire « renaissance ». La vie est comme un cycle, on a tellement mal qu'on a l'impression de mourir, et puis on survit, et on peut même se sentir renaître. Comme si l'on avait plusieurs vies dans une seule.
Je comprends parfaitement ce qu'il veut dire. J'ai d'ailleurs l'impression d'être entrée dans une nouvelle vie quand j'ai mis pour la première fois un pied dans l'Arche. Mais c'était toujours avec la certitude que je pourrai retourner à mon ancienne vie. Un cycle dans un cycle plus grand. Car une vie sans mes parents, sans Alexandra me semble inimaginable. Tout comme une vie sans Noé, Jade, Elodie, Logan et Taïs me semblerait maintenant bien douloureuse.
— Tu t'es remis ? De la mort d'Aurora ?
Je vois un sourire crispé se planter sur les lèvres fines de Noé.
— Est ce qu'on se remet vraiment de la mort de quelqu'un ? Ou est ce que la mort nous paraît juste un peu plus acceptable ? J'évite juste d'y penser. Je vis.
— Tu penses qu'un jour je pourrai...
— Je pense que ça te surprendrais toi-même à quel point tu es forte.
— Pour le moment, ils sont encore bien vivants. Ils regardent le ciel, et ils se disent peut-être juste que le temps est particulièrement mauvais pour un début de juillet. Mais bientôt, ce sera la panique.
— On ne peut pas sauver toute l'humanité.
— J'espère que Jade arrivera à faire changer le bateau de direction. Ou j'espère qu'on arrivera à mettre un plan en place.
Car je sais une chose, c'est que je ne vais pas accepter mon destin les bras croisés.
Noé frotte ses mains entre elle, pour en faire tomber les morceaux de terres collés à ses paumes. Je sens qu'il se rapproche de moi. Si hier, des émotions plus fortes effaçaient toute ma nervosité, voilà que mon ventre recommence à faire des montagnes russes. Ma respiration s'accélère, alors que je sens cette connexion presque électrique entre nous.
— Si seulement je pouvais prendre un peu de ta douleur, me souffle t-il, Je le ferai. Parce qu'il n'y a rien de plus beau que de t'entendre rire ou te voir sourire.
Alors, prenant mon courage à deux mains, je l'embrasse. Car de cette façon là, une partie de ma douleur s'efface.
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L'arche des destins
Ciencia FicciónSix êtres humains sont soigneusement sélectionnés pour embarquer à bord de l'Arche, véritable joyau de la technologie moderne, représentant la diversité et l'espoir de l'humanité. Menés par un capitaine anonyme, les six élus devront veiller à préser...