L'arche des destins

Chapitre 31

 — Est ce qu'on peut se parler ? demande Noé en retenant mon bras. 

Je me dégage de son emprise et sors du lit avant qu'il ne puisse me rattraper. 

 — Donc quoi, je suis juste devenue un outil pour effacer ta douleur ? me dit Noé. 

Je remets mon pantalon. 

 — Tu veux juste coucher avec moi et rien d'autre ? 

 — Il ne pourra jamais rien y avoir entre nous. 

 — Parce que tu penses que je suis un monstre, hein? Tu ne me pardonneras jamais ce qu'il s'est passé. 

Je lui tourne le dos pour reboutonner ma chemise. 

 — Clarisse, regarde moi s'il te plait. 

Mais je pars avant de craquer. 

Je sens que je pourrais, juste fermer les yeux sur ce qui s'est passé. Mais je ne peux pas l'accepter. Alors je préfère voir Noé comme un moyen de guérir de mes blessures. Les nuits que je passe avec lui sont sans cauchemar. C'est tout ce qui compte. 

— Coucou Tara, tu as bien dormi ? je demande en entrant dans la cuisine. 

L'enfant sourit de toutes ses dents. 

— Et toi ? demande Taïs. 

Je sais qu'il sait. 

— Je n'ai jamais mieux dormi, je répond d'un air innocent en débarrassant la table. 

— Et tu devrais manger quelque chose, me réprimande t-il en voyant que j'esquive le placard et le frigo. 

— Je n'ai juste pas très faim, je mangerai mieux ce midi. 

Je pars faire ma tournée, puis très vite, je décide d'aller espionner un peu Logan pour savoir ce qu'il a derrière la tête. Car je n'ai pas été convaincue par son discours d'hier. Quand j'entre dans le laboratoire, il n'y est plus. Il a dû revenir aux quartiers. J'en profite pour fouiner. Je sais que ce n'est pas bien, mais depuis ce qu'a fait Noé, j'ai l'impression que tout le monde a des idées derrière la tête et me cache quelque chose. 

Je retourne vers là où nous discutions la dernière fois. Où a t-il pu ranger les flacons d'ADN ? 

Je fouille dans le fond du laboratoire, là où il met souvent les expériences en cours. Au final, je ne trouve rien. Peut-être que ne rien trouver de suspect est mieux que trouver actuellement quelque chose qui me fasse douter de mon ami.

Je repasse devant l'ourson et passe mes doigts contre la vitre qui nous sépare. 

En me retournant, je vois que le bocal de croissance qui était hier vide contient maintenant une nouvelle cellule oeuf. Je ne sais plus quel animal nous avions demandé à Logan de faire croître. Peut-être essaye t-il une nouvelle espèce. 

Je laisse mon questionnement de côté. 

Bizarre, en regardant l'agenda du jour, j'ai l'impression que rien n'a été encore fait.

Comme si tout le monde ne s'était jamais réveillé. 

Je vais aux quartiers pour savoir de quoi il en retourne. Ils sont tous dans la salle commune, sauf Tara, qui joue avec le chat dans notre chambre. 

— Clarisse, me dit Elodie dès que j'entre. 

Ils ont tous un visage grave. 

— Tout va bien ? je demande. 

Je vois Elodie échanger un regard avec Jade. 

— Pourquoi tu ne nous as pas dit ? 

Oh mince. Noé a fait le bavard. Je m'assied, soupirant. 

— Je n'avais pas envie d'en parler. 

— Mais tu t'imagines que ce matin je t'ai fait une blague sur le pop corn alors que tes parents sont... 

— Tu n'as pas besoin de culpabiliser Taïs. Tu ne savais pas, et justement, je ne voulais pas que tu le saches. 

— Comment l'as tu su ? 

Je prends une grande inspiration, et commence à leur parler du message vocal. Comme je m'y attends, d'un coup, mes larmes tombent, véritable torrent qui traverse mes joues. Quelqu'un me donne un mouchoir et je me mouche bruyamment. 

Voilà pourquoi je préférais ignorer le sentiment puissant de douleur qui m'habitait. Maintenant, je ne suis plus qu'une loque de moi-même. Je relève un regard impuissant vers mes amis. Car si je suis la seule qui a des nouvelles de mes parents, cette nouvelle leur informe de ce qui a probablement arrivait aussi à leur famille. 

— Tu ne dois jamais être seules, même dans tes moments les plus sombres, me dit Jade en m'étreignant. 

Alors, nous faisons notre deuil à six. 

Jade retrouve des photos de chacun des membres de nos familles, des amis, des copains ou copines et les imprime à distance. Ensuite, nous accrochons les portraits sur les murs, sur le rebord de la cheminée. Et nous restons là, sur le canapé, comme un ilot, à regarder ces visages immortalisés à jamais, leur sourire maintenant éteint, mais qui reste si vivide dans nos mémoires. 

Tara nous rejoins et ne comprend pas ce soudain changement de décor. 

— A quoi ressemblait ta maman ? lui demande Jade avec une voix douce. 

Tara la décrit. Dans nos têtes, on imagine une version plus vieille de la fillette. A l'aide d'une intelligence artificielle, Jade recréé une tête similaire aux souvenirs de Tara, et la place à côté des autres. 

— Quienes son ? demande Tara en montrant du doigt la mère de Logan, le père de Jade, la meilleure amie d'Elodie. 

— Ce sont nos familles. 

Elle prend Tara sur ses genoux et joue avec ses longs cheveux. 

— Et ici, dit-elle en nous montrant, C'est aussi notre famille. 

Le soir arrive, et la sensation de ne pas vouloir être seule ressurgit. Surtout, celle de ne pas être confrontée à mes cauchemars. 

La porte de Noé m'est devenue familière cette dernière semaine. Et je sais que c'est pour des mauvaises raisons. Je n'ai même plus besoin de toquer longtemps. Au premier bruit, elle se déverrouille. 

Noé m'attend sur son lit, le visage stoïque. Il me dévisage, comme s'il retenait son souffle. 

— Qu'est ce qui ne va pas ? dit-il en voyant que je ne bouge pas. 

Je m'approche et me pose sur ses genoux, sentant son souffle au creux de mon cou. D'un coup, je me dégoûte. Je sais que je l'ai utilisé parce que je suis trop lâche pour affronter mes émotions. 

— Je suis désolée, je m'excuse en déposant un baiser derrière son oreille. 

Je me relève, les yeux brillants de larmes. 

— On ferait mieux de ne pas se voir pendant quelques temps. 

Ni de se toucher, ni de s'embrasser. 

Il hoche la tête. 

Avant que je parte, il dit quand même une dernière phrase. 

— Prend le temps qu'il te faut. Je serai là à t'attendre de toute manière.