Chapitre 11 : L'usure des pneus

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Silverstone, juillet 2022.

Adèle est déjà debout depuis quelques minutes lorsque son réveil sonne. À cause de tous ces déplacements, son horloge biologique est complètement détraquée. Même après deux semaines en Angleterre, elle n'arrive pas à se réveiller après six heures du matin. Kevin est en Allemagne et ne devrait pas tarder à prendre son avion pour venir la rejoindre, mais elle appréhende. Elle a eu du mal à faire taire ses plaintes et à le convaincre qu'elle avait fait de son mieux pour la dernière course. Elle avait coupé court en mettant sur la table le sujet ultime.

— Si tu ne me fais pas confiance, avait-elle dit à travers le téléphone, c'est peut-être mieux qu'on se sépare. La situation est compliquée et je n'aurais pas dû essayer de t'aider...

— Non, attends... avait répondu Kevin en descendant d'un ton. Ce n'est pas ça...

— Alors de quoi est-ce que tu m'accuses ?

— Désolé, je suis nerveux et je n'aurais pas dû m'en prendre à toi.

Décidément, se débarrasser de lui risque d'être plus compliqué que prévu. Elle n'aurait jamais imaginé qu'il se transforme en un petit ami si conciliant en quelques mois. Il est bien trop tard pour qu'elle soit attendrie, mais elle se demande où était cet homme quand elle avait besoin de lui. Elle s'installe sur le balcon, le soleil de juillet pointant doucement son nez à l'horizon, et elle prend une bouchée gourmande d'omelette. Les plats sont toujours délicieux dans les hôtels de luxe que lui paie Haug racing, mais personne ne sait assaisonner une omelette à son goût autant qu'elle. En plus, elle sait qu'elle pourra savourer une semaine sans avoir Thomas de l'autre côté du mur, et c'est un soulagement. Depuis la dernière course, le directeur de l'écurie a laissé l'ingénieure prendre un peu de repos. Aucun message, ni même une lettre ou une notification sur les réseaux sociaux. Même si la tranquillité lui plaît, elle est bien obligée d'admettre qu'une part d'elle s'est habitué à sa présence constante et l'apprécie. Il n'est pas toujours agréable mais il est rassurant. Peut-être parce qu'il fait peur à une grande majorité des employés présents sur les paddocks, même ceux des autres écuries. Elle finit son repas et s'installe dans la baignoire qu'elle avait remplie en se levant, voulant laisser le temps aux sels de bain de bien se dissoudre pour l'aider à dissiper les courbatures de sa séance de sport de la veille. Elle se laisse couler dans l'eau tiède et ferme les yeux. Où en était-elle déjà ? Ah, oui, Thomas... Elle se demande ce qu'il peut faire à cette heure et a presque envie de lui envoyer un message. Pourquoi pas lui proposer un café, après tout ? Ils doivent se retrouver dans quelques heures au travail, de toute façon. Elle l'imagine entrer dans son appartement et observer les murs blancs, qu'elle n'a pas encore eu le temps de bien décorer, avant de lui faire remarquer que sa table de salon est salement amochée. Il ferait forcément une réflexion pour la taquiner. Avant qu'elle n'ait le temps de l'arrêter, son imagination s'emballe et elle se retrouve plaquée entre le mur et le torse solide et son patron, une main dans ses épais cheveux roux et l'autre sur la hanche pour la maintenir fermement là alors que leurs lèvres s'effleurent. Ses joue la brûlent et elle s'enfonce un peu plus dans l'eau pour immerger ses oreilles et se couper de tout bruit qui pourrait arrêter son fil de pensées. Elle n'a pas besoin de forcer pour que son esprit lui fasse sentir le parfum de Thomas mélangé à celui du tabac froid et du café.

— Je te désire tellement, l'entend-elle murmurer.

Son cœur s'emballe. Elle sait qu'elle faut qu'elle arrête d'y penser avant que cette idée s'ancre indéfiniment dans son esprit mais elle ne veut pas que ce songe éveillé s'arrête. Elle s'imagine poser une main sur sa joue, sentir sa mâchoire se crisper sous ses doigts par ce qu'elle lui provoque, et voir ses yeux marrons noircis par l'envie d'elle. C'est trop. Elle ouvre brusquement les yeux pour se sortir de cette pensée, le souffle court et se redresse pour attraper la tasse de café, posée sur le rebord de la baignoire. Non, impossible d'inviter Thomas. S'enfermer seule avec lui serait la pire des tortures. Sa curiosité la pousse quand même à lui envoyer un message.

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