Chapitre 1 - Destin

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- Le chemisier blanc ou le pull vert ? Demanda Pauline.

Timothée fronça les sourcils avant d'indiquer sa préférence pour le chemisier.

- Garde le pull pour une prochaine fois, il fait toujours super chaud dans les conférences de presse.

Pauline suivit le conseil de son frère cadet et retourna derrière le paravent pour enfiler le vêtement. A chaque minute qui passait l'excitation des Chalamet montait un peu plus. Après quatre mois de tournage et le double en montage, leur premier film en commun commençait enfin sa promo. Timothée avait été le premier à se lancer dans une carrière d'acteur mais n'avait pas tardé à être rejoint par Pauline qui avait peu de temps après obtenu le rôle qui avait lancé sa carrière. Des années étaient passées et les médias estimaient que Hollywood allait encore pouvoir compter sur eux pendant longtemps. Ce film était le premier où ils jouaient ensemble ce qui en faisait un petit événement dans le milieu ainsi que pour leurs fans. Toujours derrière le paravent, Pauline enfonça le chemisier dans son pantalon. Il était plus transparent que prévu. Sa main effleura sa cicatrice située au-dessus de sa poitrine : on pouvait l'apercevoir à travers le tissu.

- Vous êtes prêts ?

Pauline entendit son frère se lever en répondant positivement à leur agent, elle n'avait plus le temps de se changer, elle allait devoir espérer que son choix vestimentaire n'éveille pas des questions indiscrètes. Les circonstances de sa cicatrice étaient bien connues du grand public mais pour autant il s'agissait d'un des rares sujets qu'elle ne voulait pas aborder en public tandis que les journalistes semblaient prendre un malin plaisir à en parler au moindre prétexte. Dès le premier regard vers sa sœur, il remarqua la marque indélébile à travers le chemisier mais ne fit aucune remarque, il savait que cela l'aurait mise mal à l'aise et ce jour était censé être joyeux. Leur agent profita des derniers instants pour un dernier brief puis ils partirent dans les couloirs rejoindre les autres acteurs du film ainsi que le réalisateur en attendant d'entrer dans la salle où se tenait la conférence de presse.

Sadie tapota des mots random sur son ordinateur : elle devait rédiger un article sur la dernière exposition d'une galerie de Brooklyn mais son cerveau était en état d'alerte. Le taxi prit un énième virage qui lui donna mal au cœur, la rousse rangea sans attendre son ordinateur et observa la circulation new yorkaise. Au téléphone, son boss lui donna ses dernières recommandations. Sadie avait terminé ses études de journalisme il y a de ça quelques années mais cette vocation n'offrait pas beaucoup de débouchées, encore moins lorsque l'on s'obstinait à se spécialiser dès le départ. Cela n'avait pas découragé la jeune femme qui avait enchaîné les petits boulots, parfois même plusieurs en même temps, avant de décrocher ce poste tant convoité : journaliste d'art. Le journal dans lequel elle travaillait était miteux, n'était pas reconnu de la profession, son salaire était ridicule. C'est d'ailleurs pour toutes ces raisons qu'elle se trouvait à cet instant dans ce taxi : sa collègue de bureau, section cinéma, avait déserté son poste ce matin.

- Les tableaux, la peinture, ce n'est pas le cinéma vous avez compris ? Est-ce que vous m'écoutez Sadie ? C'est important que vous m'écoutiez, vous serez seule là-bas et il est important que vous écriviez un papier pertinent. Et une dernière question, comment est-ce que vous vous appelez ?

- Amanda Jones.

- Parfait, ne bafouillez pas surtout si vous devez le dire. On devrait vous laisser passer sans problème grâce à notre... bricolage.

La rousse leva les yeux au ciel, elle savait qu'il ne voulait pas d'elle mais qu'il n'avait pas eu le choix. Sa collègue ayant déserté il avait fallu trouver une remplaçante mais changer de journaliste au dernier moment c'était également prendre le risque de ne pas pouvoir accéder à la conférence. Elle observa sa fausse carte de presse, heureusement que c'était un événement privé : la sécurité serait moins attentive.
Le cœur de Sadie menaçait d'exploser à chaque battement de cœur, elle savait qu'elle ne devait pas être ici et qu'elle aurait dû trouver une excuse. Ses dents mordillèrent sa lèvre inférieure pour évacuer son stress, elle fit un dernier test rapide de son matériel et informa par sms son responsable que tout était fonctionnel. Installée volontairement derrière un homme massif, cela n'empêcha pas son corps de se figer lorsqu'une personne annonça le début de la conférence. Ils ne devaient pas la voir. Un battement de cil plus tard ils étaient là, devant elle. Ils étaient plus âgés que la dernière fois qu'elle les avait vu mais cela ne l'étonna pas : leur couverture médiatique l'avait obligé à les voir grandir. Cachée du mieux qu'elle le pouvait parmi ses compères, la jeune femme griffonna quelques mots clefs pour paraître naturelle mais cela lui fit perdre le cours de la discussion si bien que lorsque la salle s'esclaffa elle n'aurait pas su expliquer pourquoi.

- Travailler ensemble c'était... Commença Timothée. Etrange au départ je dois dire, pour ma part en tout cas. Mais c'est ma sœur et surtout c'est Pauline et elle a cette capacité à mettre tous les gens à l'aise, moi y compris. C'est rapidement devenu naturel et j'espère sincèrement qu'on aura l'occasion de retravailler ensemble.

- Pauline, à quel point vous êtes-vous servie de votre passé pour appréhender ce rôle ?

Toute la salle remarqua le léger geste du journaliste : anodin pour quiconque ne sachant pas de quoi il parlait, très explicite pour ceux ayant connaissance du contexte. Pauline se retenue de toucher sa cicatrice, elle savait sur quel terrain il voulait l'amener.

- Surtout sur des souvenirs de vacances en France, le fait de savoir ce que c'est d'être dans un pays qui est censé être le mien mais qui m'est complètement étranger m'a beaucoup aidé pour jouer ce rôle.

Le journaliste la remercia mais Sadie remarqua son air déçu et elle ne put s'empêcher de se demander à quoi il s'attendait, les circonstances de cette cicatrice étaient douloureuses. Pendant que le réalisateur répondit à une question, Sadie se permit un regard vers les Chalamet. Son cœur se serra encore un peu plus en voyant le regard compatissant de Timothée pour sa sœur qui semblait lui serrer la main ou le bras sous la table et elle ne put s'empêcher de penser que sans elle cette cicatrice n'existerait pas. Sadie réalisa subitement qu'elle les fixait depuis bien trop longtemps mais elle n'eut pas le temps de détourner son regard qu'elle croisa celui de Timothée. Les corps des deux jeunes gens se figèrent, Timothée aurait juré que la salle s'était vidée de son air, Sadie sentit son corps perdre subitement en énergie. Au bord du malaise, la rousse entreprit de quitter la pièce mais celle-ci devint subitement silencieuse, elle se retourna une fois de trop et fit face à Pauline et Timothée qui ne la quittait pas du regard. Le jeune homme se leva, ce qui fit retourner quelques journalistes vers elle, puis il commença à faire le tour de la table pour quitter l'estrade, ce qui provoqua l'excitation du public qui créa un véritable chaos. L'occasion était trop belle pour ne pas poser des questions indiscrètes à un acteur qui avait toujours été dans la retenue et mystérieux jusqu'à ce jour. Malgré l'agitation, Timothée ne voulait pas la quitter du regard, elle était là. Est-ce que s'il clignait des yeux elle disparaitrait comme elle avait disparu autrefois ? Il bouscula une journaliste qui lui tendit rapidement un micro mais son corps et son esprit étaient ailleurs, son cerveau eu du mal à accepter qu'un deuxième micro venait d'apparaître et son chemin vers Sadie devint de plus en plus obstrué. Un troisième, un quatrième, il entendit quelqu'un lui demander s'il se sentait bien. Un flash l'aveugla et Sadie, à quelques mètres de lui seulement en profita pour s'éclipser de la salle. Pauline était figée sur place, est-ce qu'il s'agissait bien de Sadie ? Elle aurait juré que oui mais comment en être sûre alors que cela faisait plus d'une décennie qu'elle ne l'avait pas vu. Lorsque la chevelure rousse disparue de la salle, Pauline redevint un peu plus consciente et remarqua son frère en train de se noyer sous les micros. La sécurité lui demanda de retourner dans sa loge, elle s'exécuta en voyant d'autres membres de la sécurité s'avancer vers Timothée. Sa loge était silencieuse, un véritable paradoxe par rapport à la salle de conférence à quelques mètres de là. Son regard croisa son reflet dans le miroir, elle ne pouvait pas la laisser s'évanouir de nouveau dans la nature. La sécurité étant mobilisée à l'avant du bâtiment, Pauline ne rencontra aucune difficulté à sortir par l'arrière. L'air froid lui glaça les os mais cela ne l'empêcha pas pour autant de courir à la recherche de Sadie. Si c'était bien elle, il y avait tellement de questions qu'elle aurait aimé lui poser, pendant des années elle aurait voulu comprendre mais toutes ses tentatives de contact étaient restées sans réponses. Sadie les avait abandonné du jour au lendemain mais pour autant Pauline s'était toujours convaincue que c'était sa faute et quelque part cela l'avait aidé à accepter la situation. Un taxi s'arrêta le long du trottoir, c'était le moment de saisir sa chance. La brune accéléra le pas, bouscula sans s'en rendre vraiment compte des new yorkais et en espérant que cela fasse arrêter le véhicule, elle ouvrit brutalement la portière arrière.

- Je... excusez-moi.

Pauline referma la porte, elle était pourtant sûre d'avoir vu Sadie entrer dans ce taxi mais c'est pourtant un couple qui était installé sur cette banquette. Son corps frissonna mais ce n'était pas le froid, c'était à cause d'un regard qu'elle s'entait sur elle. Pauline se retourna et la retrouva enfin. Sadie était là, devant elle.

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