Chapitre 2-PREMIERES RENCONTRES

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La nuit a été longue. Je n'ai pas vraiment réussis à fermer l'œil. Des tas de questions et tout autant de réponses invraisemblables ont occupé mon esprit. Au petit matin, mes affaires sont emballées dans un petit sac de tulle. Je donne les derniers bisous à mes parents adoptifs et je pars, seule, vers les prairies dans lesquelles je me détendais si souvent, sauf que cette fois-ci, je ne fait que les traverser.

Après seulement une demi-heure de marche, un sentiment de frayeur me parcourt tout le corps. C'est la première fois que je voyage aussi loin même si j'en rêvais depuis toujours. J'atteins la lisière de la légendaire forêt interdite. Il m'est déjà arrivé par le passé de me présenter à l'entrée de cette forêt mais je n'ai jamais osé franchir la limite. Je suis restée plantée là, cinq bonnes minutes environ. Quand je me suis enfin décidée à avancer un pied, un frisson me fait sursauter. Comme si une catastrophe allait arriver parce que j'ai transgressé une règle. Une fois le dessous de ma sandalette en contact avec le sol de mousse, rien ne se passe, évidemment. Et voilà, je suis entrée en territoire inconnu.

Ma première heure dans cette vaste étendue d'arbres se passe très bien. Je prends même le temps de goûter à quelques fruits et ramasser quelques fleurs étranges. Nature oblige, j'ai besoin de m'arrêter derrière un grand chêne pour soulager une envie. Après quelques heures à tourner et retourner le long des troncs, je me repose un instant, adossée à un arbre. Une odeur étrange me gêne très vite. Je recherche activement d'où cela pouvait-il venir. Quelle n'est pas ma surprise lorsque je découvre, derrière cet arbre, ma propre production odorante. Cela signifie, mis à part que je devrais manger plus de fibres, que j'ai tourné en rond trois heures durant.

Démoralisée, Je me retrouve assise par terre, de fines larmes coulant le long de mes joues. La tête entre les jambes, je pleure à gros sanglots.

Malgré les ronflements de mes sanglots, j'entends un bourdonnement à côté de mon oreille gauche. Accompagné d'un râlement d'ogre, je tente d'écarter cet éventuel nuisible d'un revers de main trempé. Mais cette petite chose insiste pour que je relève la tête. Une fois face à mon trouble-fête, mes yeux s'écarquillent, ma mâchoire inférieure tombe toute seule. En face de mon visage se tient une créature des plus fabuleuses, magnifiques, extraordinaires : une femme toute minuscule, avec deux paires d'ailes. Elle a une chevelure infinie blonde et est très peu vêtue. Elle doit sûrement avoir froid à moitié dénudée ainsi. Je la regarde tournoyer dans l'air durant un long moment avant de sortir mes premiers mots :

— Oh ! Je vois tes fesses !

La petite beauté arrête net sa danse aérienne et me tourne le dos. Je réalise que mes paroles ne sont pas très appropriées, mais il faut savoir que chez moi, on n'a jamais vu ne serait ce qu'un mollet d'une autre personne, mis à part lors des actes reproductifs. Je m'explique et m'excuse longuement pour que la petite demoiselle me pardonne. Dès lors, je comprends que cette créature est très susceptible...

Malheureusement pour moi, elle ne parle pas, ce qui écourte assez vite la conversation. Mais par chance, apparemment, elle connaît le chemin pour sortir de cette interminable forêt ; ou alors elle aussi, elle continue à tourner en rond. Durant notre marche forestière, ma petite compagne de route tente de me faire deviner son nom. Ce n'est pas une partie de plaisir ! Nous testons d'abord l'écriture, moyen de communication très efficace après l'oral, sauf quand les deux interlocuteurs n'ont pas le même alphabet. Les gribouillis de la créature ne représentent rien pour moi. Elle essaie de me murmurer son nom pour que je lise sur les lèvres mais on se heurte de nouveau à la barrière de l'alphabet. Alors, elle tente une série de mimes qui ne font pas leurs effets. Je décide donc de lui inventer un nom dans notre langue. A la vue de son expression jouissive, je comprends qu'elle est d'accord. J'énumère plusieurs patronymes, sans succès, jusqu'au changement de son expression lorsque j'évoque le nom de Neira. Je sais, c'est le nom sacré d'une déesse mais cela ne me dérange pas. C'est sorti par hasard et cela a l'air de beaucoup lui plaire. Une fois l'enthousiasme de la nouvelle baptisée retombé et après un passage à travers un bosquet piquant, nous atterrissons devant un cabanon abandonné, où tout juste un cochon pourrait y vivre. Neira tournoie au-dessus de moi quand soudain j'entends une voix fébrile :

— Ben tient donc, revoilà ma petite femme nue préférée. Oooh en plus, elle a ramené de la compagnie féminine !

Un vieillard sort de derrière un rideau de feuille qui faisait office de porte. Il a de grandes oreilles en chou-fleur, quatre cheveux, exactement, en torsade au sommet du crâne, deux dents mais surtout des yeux grands, écarquillés et plus tard, j'ai su que c'était un de ses derniers sens actifs.

Neira lui fait un bisou sur la joue, comme si elle le connaissait depuis toujours. L'homme nous invite à nous assoir. Neira s'est déjà installé sur une chaise en bois de sa taille, en hauteur. L'ancêtre a un tabouret en bois aussi dont le pied est sculpté en buste de femme. Pour ma part, il n'y a pas de siège à ma disposition. Le vieux me fait signe de m'assoir au sol mais ma longue tunique ne me permet pas de m'installer en tailleur. Me voyant franchement galérer, le vieux attrape un couteau, aussi ancien que lui, fend mon vêtement des deux côtés, de la hanche jusqu'à la cheville. Durant ce geste d'aide, je remarque une certaine perversité dans ses yeux. Impression qui se confirme quand je m'assoie. En effet, il suit de sa tête ma descente vers le sol, espérant entrevoir sous mon vêtement. Une fois assise, son regard reste figé sur mes jambes durant une vingtaine de secondes. Neira siffle un grand coup en mettant ses doigts dans sa bouche ce qui réveille le vieillard et nous permet d'entamer une conversation.

Il me demande d'abord mon « petit nom », comme il dit, je lui explique ce qui m'a poussé à partir de mon village et à rencontrer Neira et lui-même. Une fois mon récit terminé, il laisse un blanc interminable, comme s'il s'était déconnecté totalement. Je jette un regard vers Neira qui, un coude posé sur ses jambes croisées, se tient le menton et réfléchit à je ne sais trop quoi. Puis les yeux du vieux s'écarquillent, sa respiration se coupe. Je m'attends alors à une révélation extraordinaire mais tout ce qui « sort » est un bruit suspect de son derrière. C'est horrible, mais lui rit comme un fou, je crois même qu'il va en mourir. Une fois le calme revenu, son visage se durcit. Il s'adresse alors à Neira :

— Tu penses que c'est cela ?

Neira acquiesce.

— Alors, je vais vous fournir un bateau afin de traverser les eaux qui nous séparent des terres lointaines.

Je n'ai pas plus d'explications et peut-être que je n'ais pas envie d'en savoir plus. Le vieil homme nous conduit au bord des falaises, sur une plage, et nous fournit une barque en bois. Il m'aide à la mettre à l'eau, tout en prenant soin de m'y mettre aussi afin de reluquer mon corps moulé par ma tunique trempée. Neira se positionne à l'avant et regarde vers l'horizon, j'ai comme l'intuition que je vais devoir ramer.

Le vieillard me donne, juste avant de partir, deux choses : une carte du monde, qui me parait immense, mais très importante pour savoir où aller, avec un objet tout rond, que Neira sait sûrement mieux utiliser que moi. La deuxième chose est une claque sur les fesses.

C'est ainsi que je me retrouve au milieu d'unocéan, à bout de force, avec une petit fille volante qui virevolte de peur danstous les sens. Nous sommes affamées et perdues.

L'Odyssée de NéphaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant