CHAPITRE 25 CULPABILITE

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A l'approche de son bureau, nous retrouvons Cinq, fidèle au poste. Un enfant d'à peine six ans l'accompagne.

— Maître, voici l'enfant, arbore t-il fièrement sa réussite.

— Il m'en faudra deux de plus. Une adolescente vierge peut convenir aussi. Prends le Capitaine avec toi, il doit être capable de réussir cela.

Puis il rentre dans son bureau et me claque la porte au nez.

Je parcours la ville derrière Cinq. Les rôles sont inversés. Il stoppe et descend de cheval devant une petite maisonnette où des cris d'enfants s'élèvent. Je l'observe sans descendre de cheval.

— Allons ! Ne restez pas sur votre destrier. Vous me serez plus utile à l'intérieur. Votre envergure peut-être un atout.

Je m'exécute. Un mauvais pressentiment brûle à l'intérieur de moi, comme si je ne devais pas faire cela mais le besoin de rendre fier mon père balaie d'un revers cette appréhension.

Cinq frappe lourdement à la porte de la demeure. Fausse courtoisie car à peine a-t-il finit qu'il ouvre la porte et entre sans que les habitants l'y invitent.

— Bien le bonjour, humbles citoyens. Le Maître nous fait quérir en votre demeure car il a choisit personnellement votre famille pour l'aider dans sa lourde tâche. Soyez en reconnaissant !

J'emboîte son pas. La maison est très simple. Peu de meubles, peu de décoration. Face à nous, le père de famille, en première ligne, qui protège sa femme. Elle se trouve juste derrière, enlace les derniers enfants, très jeunes, en bas âge, et protège de son corps les premiers, de huit et douze ans à vue d'œil.

Ils se prosternent tous à la fin de l'annonce de Cinq.

— Nous sommes reconnaissants et servons notre Maître ! Finit par dire le père.

La mère doit fusiller du regard les plus âgés pour qu'ils posent également le genou à terre.

— Bien, bien ! Nous avons besoin de jeunes intelligents et robustes. Seuls les plus méritants peuvent rejoindre les rangs de l'Ordre, vous le savez !

Cinq s'approche d'eux, il tourne autour de la famille tel un vautour ayant repéré sa proie et s'apprêtant à plonger. Il caresse doucement les cheveux de la fille ainée, une adolescente entrant tout juste dans la puberté. Elle me fixe, espérant sûrement que je mette un terme à cette mascarade.

La matriarche ne peut s'empêcher de laisser couler ses larmes, implorant son mari du regard pour qu'il sauve ses enfants. Mais ce lâche n'en fera rien.

— Vous avez là deux perles mûres qui pourraient fortement aider les rangs de l'Ordre. Alors faîtes leurs vos adieux, ils partent dès aujourd'hui rejoindre les troupes de notre Maître vénéré. Il vous remerciera grassement pour votre contribution. Et puis il vous reste de quoi perpétuer votre lignée. Allez ! On y va !

Cinq pousse l'ainée et son cadet vers la sortie. La mère tente de retenir ces enfants, mais il lui flanque un revers de la main qui la projette au sol. Le père, ayant un reflexe de protection envers sa bien-aimée, se stoppe et baisse le regard.

Nous sortons de la bâtisse sans prendre la peine de refermer la porte, sûrement pour laisser les parents admirer le spectacle. Cinq pousse le jeune garçon dans la charrette de l'Ordre et se permet de soulever, telle une princesse, la fille pour la déposer aussi dans le véhicule. Il s'amuse même en lui octroyant un baisemain avant de l'inviter à s'asseoir sur le banc.

— On rentre ! ordonne-t-il au conducteur de l'attelage.

Puis il saute sur sa selle et s'en va, me jetant un dernier regard d'affront. Je ne peux m'empêcher de me tourner vers nos victimes, tous en larmes, plus au moins bruyants. A ce moment, je ressens encore cette gêne dans la nuque. On m'observe ? Non je ne vois personne. Je me masse la nuque endolorie et tente de réconforter cette famille peut-être brisée :

— Ne vous en faîtes pas, ils seront plus heureux là-bas qu'ici. Nous en prendrons soin.

Je remonte sur mon cheval et fonce pour rattraper le convoi. Je me sens stupide. Pourquoi leur ai-je dit cela ? Ce n'est pas mon genre. Pourquoi ai-je ressenti le besoin de les réconforter ? Je sais à quoi vont être utiles ces enfants mais pourquoi laisser ces parents dans le doute et la peur ? Pourquoi ne pas leur donner un peu d'espoir pour cette progéniture qu'ils ne reverront jamais ? Je chevauche, l'esprit ailleurs, mais avec cette espèce de conscience soudaine qui me turlupine.

Je ne suis pas arrivé à rejoindre Cinq avant d'atteindre la maison. Je descends promptement, cours vers le bureau de mon père mais il n'y a personne. Mon cœur s'emballe. Pourquoi ? Qu'en ai-je à faire de deux pauvres gamins. Je me précipite vers les quartiers de Cinq et défonce la porte à coup de pieds.

Je ne me suis pas trompé. Je le trouve au milieu de la pièce, l'adolescente à genou face à lui. Il lui a déjà déchiré ses guenilles qui lui servent de vêtements. Elle est couverte de bleus, et présente des lacérations par endroits.

— Sors d'ici. Tu n'es pas autorisé à pénétrer chez moi !

Ne sachant vraiment pas quoi faire, penser ou dire à ce moment, je réponds :

— Il veut une vierge. Alors cesse !

— Espèce de puceau ! Ne me prends pas pour un débile, alors casse toi d'ici et ferme cette putain de porte. Ou je dois en dire deux mots à ton paternel ?

Jetourne les talons, ne pouvant en faire plus. Je claque la porte et ravale uneremontée acide. Incompréhensible, il y a encore quelques jours, j'ai décimé unefamille entière de mes propres mains. Que m'arrive-t-il ? Je me dirige vers l'extérieur afin de prendreune bouffée d'air. 

L'Odyssée de NéphaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant