CHAPITRE 15 IL ETAIT UNE FOIS...

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Je chiale comme une fontaine. Neira se mouche dans mes cheveux. Quand P'tit Bouc se tourne pour vérifier ce que sont les petits gloussements et les gros reniflements, je découpe grossièrement un oignon pour faire croire que c'est la cause de nos sanglots. Il revient à sa marmite et continue :

— De retour au couvent, je devais choisir ma voie finale et de par mes excellentes notes j'ai pu intégrer le savoir absolu : la bibliothèque. Les premières années, je n'avais que le ménage à faire. Alors j'avais beaucoup de temps libre pour parcourir de nombreux ouvrages. Les rayons de l'imaginaire ont été mes premières victimes et m'ont permis d'oublier un peu la douleur. Puis j'ai attaqué les livres historiques, les mathématiques et la philosophie en mémoire à ma mère et la science. Ce qui m'a amené à la religion, à l'économie et enfin à la politique.

— C'est quoi la « politique » ? osé-je demander.

— C'est la cause de tous nos soucis.

— Hummm.

Cela ne m'avance pas de tout. Je hoche la tête quand même.

— Pour faire simple, la politique est un parasite qui utilise l'économie et la religion pour asservir le monde.

Il pense sûrement avoir tout expliqué avec cette comparaison mais il n'en est rien.

— Pour en revenir à notre discussion extérieure, et enfin raccrocher les charrettes, les hommes qui ont compris que les dieux n'existaient pas utilisent la religion pour prendre le pouvoir.

Son visage s'assombrit, le temps s'arrête un instant et d'une voix plus grave, il dit :

— Ils font croire par le biais d'ouvrages soi-disant ancestraux, véridiques, ou magiques, que les dieux ont existé, qu'ils sont partis car l'Homme, fruit de leur création, est devenu indigne de leur présence. Fautif, il le paye à coup de tempête, de catastrophe, de maladie. Pour se racheter de tous nos péchés, nous leur devons obéissance aveugle, don de soi et surtout tout ce qui a de la valeur.

Je comprends mieux maintenant, mais j'ai besoin d'éclaircissements encore :

— Tu veux dire que tu penses que les vieux livres ne sont pas de vieux livres et que c'est quelqu'un qui les écrit pour diriger le peuple à son profit. C'est tordu, non ?

— Oh non, je ne le pense pas... J'en suis sûr. Je l'ai vu de mes yeux.

Décidément, ce petit bonhomme a la maitrise du suspens. Et cela a un peu le don de m'énerver. Je dois jouer aux devinettes encore, et je ne suis vraiment pas douée :

— OH ! C'est toi? Je suis choquée de ma découverte.

— Mais, elle le fait exprès ou quoi ? Il questionne Neira qui hausse les épaules.

— NOOON ! hurle-t-il encore. Un jour, alors que je rangeais des ouvrages tardivement au lieu de rentrer chez moi, j'ai surpris une conversation. Deux hommes discutaient de leur avancée d'écriture. J'ai cru d'abord qu'il s'agissait d'auteurs connus, venus ici pour des recherches secrètes, en dehors des heures d'ouverture, mais en les suivant, j'ai atterri dans des pièces cachées. Moi-même qui travaille dans ces lieux depuis des décennies, je n'avais jamais découvert ces passages secrets. Les auteurs ont rejoint un petit groupe, déjà au travail sur des pupitres. Ils ont fait un petit résumé aux derniers arrivants afin qu'ils prennent la relève. J'ai clairement entendu le sujet de leurs travaux : « Le maître a besoin de plus de financement pour sa prochaine campagne. Nous devons renforcer la peur et augmenter les dons en or. Pour cela, nous allons réécrire la partie quatre. Notre nouveau "dieu-tirelire" doit être plus généreux et puissant à la fois. Allez au travail ».

Je ne sais pas quoi dire suite à cette révélation. Mais je ne suis pas non plus très surprise. Face au blanc que nous laissons, P'tit Bouc enchaîne :

— Je n'ai pas d'autre endroit où aller mais depuis ce jour, je n'ai vraiment plus l'impression d'être à ma place dans cette ville, ce pays.

Je compatis à son mal-être :

— J'étais dans la même situation dans mon village. La même impression de ne pas être où il faut. Et il s'est avéré que c'était le cas. C'est pour cela que je suis ici aujourd'hui, en quête d'une autre vérité, avec pour alliés une fée et un garde du corps. Alors, il en est peut-être de même pour toi. Ta place est sûrement ailleurs, pas forcément dans un autre lieu mais plutôt dans l'histoire. Enfin tu vois, quoi !

Je me perds un peu dans mes explications mais n'oublie pas la raison principale de notre présence.

— Alors, ce symbole, où l'as-tu vu ?

— Hein ! fait-il, perdu, puis il se remémore. Ah oui, le symbole de ton S...collier autour de ton cou... !

Il se dirige vers son meuble, ouvre un battant et en tire un vieux livre poussiéreux. Il le pose sur la table et parcourt les premières pages. Je le questionne :

— C'est un de ces livres religieux ?

— Non, c'est un livre d'histoires pour enfant, qu'on lit le soir pour s'endormir.

Il lève discrètement les yeux vers moi pour lire ma réaction sur mon visage. Et il poursuit :

— Ce n'est pas une blague ! Ah voilà ! Le conte de la forêt de Brauce. Il était une fois...

— Mais si c'est un conte, ce n'est pas vrai. C'est pour l'imaginaire des enfants et...

— Chut, me dit-il. Parfois, les contes ne sont pas ceux que l'on croit.

Il nous lit, agréablement, l'histoire d'un peuple étrange, qui était autrefois plein de magie, de vie et de bonheur, mais qui a tout perdu à l'arrivée d'un nouveau membre. Seule une petite enfant, forte de caractère, pouvait restaurer la vie paisible grâce à de la magie que tous croyaient perdue. C'est une très belle histoire, qu'il conte merveilleusement, en remuant la soupe. Beurk s'est retrouvé près de nous à attendre la fin, comme un enfant. A plusieurs reprises, j'ai cru voir des larmes couler sur son visage si solide. Une fois l'histoire terminée, P'tit Bouc ferme le livre dans un claquement et crie « A table ! ».

Tous se mettent alors à préparer la table, l'air de rien, satisfaits de leur moment passé. Sauf moi :

— NON ! Et le symbole alors !

Ils s'interrompent. Se jettent des regards puis retirent assiettes, marmite, pain... et reprennent leur place et le livre comme si rien ne s'était passé. P'tit Bouc ouvre à nouveau le livre et dit :

— L'histoire est passionnante, maintenant si tu jettes un coup d'œil à la représentation du temple, tu peux y voir des symboles dessinés aux murs, dont celui qui est sur ton médaillon. Voilà. A table.

Ils recommencent leur manège. Le fumet de la soupe et la faim doivent les presser mais j'insiste:

— Alors, qu'est-ce qu'on fait ? Où est cette forêt ? Elle a vraiment existait, si oui comment on y va?

Ils arrêtent encore leurs préparatifs. Cette fois, Beurk me fixe méchamment :

— D'accord, on peut réfléchir à tout cela en mangeant.

L'Odyssée de NéphaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant