Je cours vers la cabane et entre en claquant la porte. Tout le monde se tourne surpris par ce vacarme et je demande :
— QUI ? A qui ? Dis-moi, je ne sais pas.
Ma voix est tremblante comme si ma vie en dépendait.
Neira ne comprend rien. Beurk, que j'ai sûrement sorti de sa sieste, me regarde d'un air louche et le principal intéressé reste bouche bée :
— Mais, d'où vous venez déjà ? Vous n'êtes pas d'ici, enfin surtout vous ? dit-il en me pointant de la carotte.
— Non je ne suis pas d'ici. Je ne connais rien à votre religion, je n'y comprenais déjà pas grand-chose chez moi alors que nous vouons un culte à une déesse. Explique-moi de quoi tu parlais dehors. J'ai besoin de savoir, je ne sais pas pourquoi mais il faut que j'apprenne sur ce sujet, je le sens. Tu as l'air d'être le plus aguerri. Ton travail a dû servir à te forger ta propre opinion, ta propre vision du monde.
Il souffle, soit pour exprimer son étonnement d'avoir une personne aussi inculte soit parce qu'il sait que la nuit va être courte. Il se dirige vers sa cuisinière, prend une marmite, puis un couteau qu'il me tend :
— Epluchez les légumes, je vais chercher de l'eau puis je vous donnerai une leçon sur notre belle religion.
Je prends le couteau et vais m'asseoir à la table. J'attrape le fameux navet-baguette et le pèle délicatement pendant que mon professeur sort remplir sa gamelle d'eau.
Il revient quelques secondes plus tard, je n'ai même pas fini de peler le navet. Il commence son cours en déposant sa marmite sur le feu, dos tourné :
— Je suis né ici. Mes parents, de familles modestes, sont nés ici aussi. Mon père était maréchal-ferrant.
Il jette un œil dans ma direction discrètement et comprend que je ne connais pas ce métier.
— Il s'occupait des chevaux, leurs mettait les fers sous les sabots pour les protéger. Ma mère m'éduquait seule. C'était une femme intelligente. Elle ne le faisait pas savoir mais elle lisait beaucoup. Et pour beaucoup de femmes de son milieu, c'était déjà un exploit de savoir lire. Mon père ne savait pas lire, lui, mais il faisait vivre le foyer. Elle m'a tout appris, à lire donc, à compter, à penser par moi-même, à ne pas se laisser berner, à évoluer et à comprendre le sens de la vie.
— Ce devait être une femme incroyable, mais si tu en parles au pass...
— Taisez-vous ! Je n'ai pas finis ! hurle-t-il.
Sa réaction, tellement spontanée, m'a effrayée mais je lis dans ses yeux que c'est plus par gêne que par méchanceté qu'il ne me laisse pas finir ma phrase. Ses parents étaient morts et il n'avait aucune envie de me raconter ce passage douloureux.
— Excuse-moi, je ne voulais pas t'interrompre. Continue.
Sa voix se radoucit en poursuivant son histoire :
— Elle m'a donné le goût de la lecture mais aussi de l'apprentissage. Et plus que tout de la justice et de la vérité. Mon père était très croyant. Trop sûrement... Il a tenté à plusieurs reprises de m'apprendre son métier afin que je poursuive son œuvre après sa mort. Mais je ne suis pas un manuel, moi. Un jour, après une énième tentative sur un pauvre poney qui n'avait rien demandé, j'ai blessé l'animal par accident, mon père m'a giflé, et ce n'était pas la première non plus. Je suis parti me cacher dans mon endroit secret. Enfin, c'est ce que je pensais comme tout enfant de sept ans qui croit pouvoir cacher des choses à ses parents. Cette fois, mon père m'a suivi pour finir la discussion. J'étais déjà plongé dans mon histoire préférée. Voyant cela, il s'est encore plus mis en colère, il a pris mon livre en vociférant des atrocités sur moi et sur ma mère. Il l'insultait pour m'avoir appris à lire, que c'était à cause d'elle que j'étais un incapable. Il a jeté mon livre au feu et a pris un instant pour le regarder brûler, appuyé contre la cheminée. Quand les flammes ont crépité de gourmandise, il a levé la tête, face à la petite statuette de ce non-dieu qui trônait sur la cheminée, et a dit : « Puisque tu aimes lire tu iras au couvent dès la fin de la semaine. Là-bas, ils lisent, en silence, toute la journée. Et peut-être que tu pourras devenir quelqu'un d'utile quand même. » Puis il est sorti de la maison. J'ai fait mes valises le lendemain, j'ai dit au revoir à ma mère en pleurant, mon père a fait en sorte d'être absent ce jour-là. Je suis parti, pendant dix ans sans les revoir. Je ne suis revenu à la maison qu'à la fin de mes années d'études. Mais ils n'étaient déjà plus là.
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L'Odyssée de Néphaé
Fantasía"Je m'appelle Néphaé et j'ai 16 ans. Je suis encore bien naïve mais je me pose des tas de questions depuis toujours, surtout depuis que j'ai appris que je suis adoptée. Mon seul but maintenant est de retrouver mes parents biologiques. Je me suis lan...