L'ascension par les escaliers pour revenir vers la sortie a été plutôt macabre. Les corps fumant encore m'ont donné une nausée abominable. Après avoir traversé la ville, nous nous tenons tous devant une immense maison, avec de magnifiques colonnes, des fenêtres gigantesques moulées et de superbes décorations de personnages en action.
— C'est somptueux, m'exclamé-je. Tu habites ici ?
— Ah ! Ce serait vraiment superbe en effet mais mon habitation est plutôt - il se tourne légèrement vers la gauche - ici. Tadam !
Il sourit, fièrement.
Nous ne disons rien. Nous regardons, ahuris, une drôle de cabane. Elle a l'air de tenir difficilement. Un vent trop fort pourrait la détruire en un instant. Une girouette fixée sur le toit et un petit moulin à vent suspendu sous le petit porche ont été fabriqués à la main.
— Oh ! Ok, c'est plus logique. Elle est magnifique quand même !, je me rattrape, comme je peux, pour ne pas être impolie.
— Bienvenue chez moi ! s'exclame P'tit Bouc, en ouvrant la porte pour nous laisser entrer.
L'intérieur est fidèle à l'extérieur. Beaucoup de meubles ou d'objets de décoration semblent avoir été récupérés et détournés pour une nouvelle utilisation. Il semble se contenter de peu de choses. Le strict nécessaire est présent dans cette pièce : une table, une chaise, un petit poêle à bois qui sert aussi de cuisinière et un petit meuble, en bois aussi, avec quelques souvenirs posés dessus.
P'tit Bouc s'affère à allumer le feu, sûrement en anticipation de la nuit qui arrive déjà. Il nous invite à nous assoir. Nous le regardons, sans dire mots, pour lui faire comprendre que nous n'allons pas tous tenir sur une chaise.
— Oh pardon, je suis bête. Je n'ai pas l'habitude de recevoir du monde.
Il ouvre la seule autre porte de la pièce qui dessert une chambre dans laquelle une petite banquette habillée d'énormes couvertes trône. P'tit Bouc ressort de là avec un petit tabouret et une deuxième chaise. Beurk en profite pour s'infiltrer dans la chambre et s'écroule de tout son être sur le lit.
— Désolée pour lui. Pour sa défense, je crois qu'il est un peu fatigué après la dure bagarre qu'il a menée contre les hommes en noir.
— Je comprends, me répond notre hôte. Cela ne me dérange pas. Je suis content d'avoir des amis chez moi et surtout de l'avoir, lui, comme ami plutôt qu'ennemi.
Il ricane doucement.
— J'ai un petit potager bio derrière, je peux vous préparer une petite soupe de légumes ou un ragout, nous propose-t-il.
— Avec plaisir, je pense que tout sera bon vu le peu qu'on mange en ce moment. Tu as besoin d'aide ?
— Oh merci. Oui.
Je scrute mes compagnons dans l'espoir qu'ils viennent prêter main forte. Beurk ronfle déjà et Neira exprime son manque de motivation à travers un long souffle. Je vais m'y coller donc. Ma gentillesse me perdra.
Nous sortons de la petite bicoque et nous dirigeons à l'arrière. Je découvre alors un jardin abondant, rangé avec soin, au millimètre près. P'tit Bouc ramasse plusieurs variétés : haricots, tomates, courges... Les légumes sont d'une brillance à rendre jalouse une reine de beauté.
— Tu as la main verte visiblement ! complimenté-je le jardinier.
— Rien à voir avec la couleur de mes mains, qui ce dit en passant ne sont pas du tout vertes.
Je rigole intérieurement, et il poursuit :
— J'ai lu tous les ouvrages sur la culture, le jardinage, les légumes, qui étaient à la bibliothèque. Il suffit alors d'appliquer les consignes, de suivre les recommandations.
Il remonte ses lunettes avec son index.
— C'est logique en effet. Tu as dû apprendre beaucoup de choses au travers de tous ces livres.
— Oui, les livres sont une grande source d'apprentissage et ils gardent la mémoire de nos expériences passées. A nous d'en tirer le meilleur. D'évoluer.
— C'est une belle philosophie de vie.
— Non, c'est de la science ! hurle-t-il.
Je sens que j'ai touché une corde sensible.
— Je n'ai pas vu de statue ou de représentation religieuse chez toi. Tu n'es pas croyant ?
— Non.
Je m'attendais à plus d'arguments venant de sa part.
— Pourtant, dans tous les ouvrages que tu as parcourus, il doit bien y avoir des preuves de l'existence d'êtres supérieurs ?
Avec cette question, je sais que je m'expose à un discours infini, un débat sans fin mais j'ai besoin de creuser la question pour avancer dans ma recherche.
— Pff, erreur de débutant, d'ignorant ! me lance-t-il, droit dans les yeux.
Il prend alors une longue respiration :
— Croyez-vous que si des êtres suprêmes - il signe des guillemets avec ses doigts - existent réellement, ils s'amuseraient à écrire des tonnes et des tonnes de bouquins, tous plus énigmatiques les uns que les autres. Croyez-vous qu'ils prôneraient l'entraide, l'amour et le respect en laissant mourir des enfants de maladie, en autorisant des guerres pour des territoires n'appartenant à personne ceci dit en passant. Croyez-vous qu'ils aient besoin d'or, de vin ou de nourriture ?
— Euh...
— Ce n'est pas une question, c'est rhétorique. Bref. Bon, partons du principe qu'ils laissent faire toutes ces atrocités, alors, sachant cela, non je n'aurais pas très envie de les croiser car ils doivent êtres sadiques, malsains, complètement égoïste et souvent en état d'ébriété...
P'tit Bouc enchaîne les phrases sans reprendre sa respiration, j'ai parfois l'impression qu'il va manquer d'air. Son ton est de plus en plus déterminé, limite énervé. Tel un professeur voulant montrer à ses élèves sa version du monde, il argumente sans relâche, tout en brandissant son navet comme une baguette :
— Et croyez-moi, personne ne souhaiterait les rencontrer, même le plus imbécile des hommes. Maintenant, envisageons qu'ils n'existent pas, et vous conviendrez qu'à ce jour, nous sommes plus proche de cette réalité que de la première. Je ne crois que ce que je vois, mais c'est une philosophie personnelle encore une fois. Alors, je vous pose LA question existentielle ?
Il laisse un blanc, comme s'il attendait une réponse, mais je ne dis rien de peur de mal répondre, et il reprend :
— Mais alors QUI écrit ces livres vertueux, ces doctrines ? Qui impose de telles règles, de telles souffrances ? Ce qui induit la deuxième question, moins existentielle certes, à qui cela profite ?
Il reste planté là, plongeant encore dans mon regard, comme pour me souffler la réponse, que je n'ai pas non plus. Puis il lève la main, paume vers le ciel, comme si la fin était évidente, et il s'en va, retournant à l'intérieur.
A mon tour de rester plantée quelques secondes.Je n'ai même pas l'ombre d'une idée. Persuadée que son discours est juste,réfléchi. Sa vision fait écho à un ressentiment que j'étouffe au fond de moi maisje n'ai pas tous les éléments de l'équation alors il m'est difficile determiner cette réflexion.
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L'Odyssée de Néphaé
Fantasia"Je m'appelle Néphaé et j'ai 16 ans. Je suis encore bien naïve mais je me pose des tas de questions depuis toujours, surtout depuis que j'ai appris que je suis adoptée. Mon seul but maintenant est de retrouver mes parents biologiques. Je me suis lan...