Chapitre 3

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L'espace d'un instant, se voir quitter son immeuble en trombe pour cavaler dans les rues de Gotham lui rappela ce jour où tout avait basculé, où elle avait fui son ancien logement quelques mois plus tôt. Toutefois, il y avait une différence flagrante, au lieu de fuir le danger, elle lui courait droit dessus.

Si une bonne partie des habitants de ce quartier de la classe moyenne étaient rentrés du travail, le trafic était encore régulier dans les avenus alentours, et la jeune femme manqua à plusieurs reprises de se heurter à un pare-chocs. Les klaxons hurlaient sur elle alors qu'elle traversait les voies, le regard focalisé sur son objectif, sans prêter attention à ce qui l'entourait. À un moment, elle se prit le pied dans une bouche d'égout qui sortait légèrement de son scellement, et manqua de s'étaler au sol. Heureusement, ses années de danse et son bref entraînement aux côtés de Batman lui procurèrent des réflexes inattendus, et elle se contenta de poser une main et un genou à terre avant de poursuivre sa course.

Après cinq minutes dans les rues à courir comme une démente sous le regard médusé ou agacé des passants, la porte de l'immeuble où elle avait aperçu son ancien compagnon lui apparut. Une affiche jaune était collée sur chacune des portes vitrées :

Bâtiment en travaux _ Accès interdit sauf personnel autorisé - protection obligatoire _ risque de blessures ou de mort.

Ses yeux lurent les mots mais son cerveau ne les interpréta pas. Son seul objectif, atteindre le toit aussi vite que possible pour vérifier que son esprit ne lui jouait pas des tours. Après le départ de Red Hood, Andréa s'était imaginé le voir à plusieurs reprises, et la jeune femme avait longuement confronté sa raison à son cœur pour reprendre une vie normale, ne plus voir son ombre au coin d'une rue, sur un toit, à sa fenêtre... Enjambant le tas de débris barrant l'accès à l'escalier du rez-de-chaussée, elle s'aventura dans les étages.

Les poumons de l'infirmière la brûlaient, son cœur tambourinant dans sa poitrine à une cadence douloureuse. Elle avait gravi plus de la moitié des étages et n'aurait su dire si cela faisait cinq minutes ou une heure qu'elle galopait, trébuchant de temps à autre contre le nez d'une marche ou sur un morceau de paroi qui s'était glissé sous ses pieds. Ses joues s'enflammaient et sa vision se troublait sous un mal de tête provoqué par une pression sanguine trop intense, mais elle tenait bon.

Andréa venait de passer le panneau du huitième étage quand un craquement sourd au-dessus d'elle la fit sursauter. Elle se plaque contre un mur. Une lutte farouche se mit en marche entre son esprit et ses émotions. L'un lui conseillait de rebrousser chemin ou a minima de se cacher, car il pouvait s'agir d'un des agresseurs. Mais l'autre lui hurlait de continuer à monter avant qu'il ne soit trop tard.

Prenant une profonde inspiration, la jeune femme reprit de l'élan et s'élança à nouveau dans les marches qui se mirent à trembler alors qu'un morceau du plafond sur le palier où elle se tenait quelques instants plus tôt. Son corps tout entier la faisait souffrir sous l'effort et le manque d'oxygène. Enfin, le panneau "rooftop" apparut et elle comprit qu'elle touchait enfin au but.

Alors qu'elle s'engageait dans les dernières marches avant la lourde porte verte, un claquement sourd résonna sur le panneau métallique. Un corps venait de se heurter contre la porte, suivi d'un râle de dément et de plusieurs coups de feu. La jeune femme s'immobilisa enfin, consciente du danger et redescendit à l'étage précédent. Poussant sans aucune précaution les portes encore en place, elle trouva enfin ce qu'elle cherchait. Une tige d'acier d'une quarantaine de centimètres, probablement issue d'une paroi malade, gisait sur le sol ; ce serait une mare parfaite.

Devant la porte, elle roula ses épaules en arrière à plusieurs reprises pour se préparer à l'assaut. Andréa enfonça la porte et se catapulta sur le toit en hurlant le nom de Red Hood. Dans son dos, la porte claqua dans un fracas métallique alors que de nombreux regards se tournaient vers elle. Le temps semblait suspendu, une pause dans le conflit féroce qui opposait les six hommes présents sur ce sol en béton à ciel ouvert, quand Red Hood rompit le silence.

– Tire-toi de là ! Hurla-t-il en saisissant un des voyous ahuris avec une clé de bras.

Sa barre en acier dans une main, elle fit volte-face pour ouvrir la porte et se cacher dans les étages, deux hommes lui fonçant dessus. Pas de poignée. La porte ne pouvait plus s'ouvrir depuis l'extérieur, elle était prise au piège.

– Viens ici, jeune fille ! Nous n'avons rien contre toi, mais tu t'es visiblement aventurée au mauvais endroit au mauvais moment... Dit d'un ton calme et neutre un de ses deux assaillants.

– Ne m'approchez pas ! Hurla-t-elle en brandissant son arme de fortune devant elle. L'instant d'après, un des deux hommes en long manteau noir avec un chapeau à bord plat saisit le bout de la barre, lui intimant de lâcher prise, alors que son partenaire sortait son pistolet. Le canon de l'arme était planté sur son nez, et la jeune femme ne voyait pas comment éviter cette balle.

Cette fois-ci, les chances que le tireur rate sa cible étaient aussi nulles que celles de voir Jason s'interposer entre elle et la balle, comme le jour de leur rencontre. Pourtant, si des mois auparavant elle s'était résignée, prête à mourir, sa vie n'ayant que peu de sens, ce n'était plus le cas. Elle devait trouver une échappatoire, elle voulait trouver une échappatoire.

– Allez, on va faire ça vite et sans douleur, ne bouge pas ! Lui dit doucement celui qui la tenait en joue, presque peiné de ce qu'il allait accomplir.

Soudainement, prise d'un courage qu'elle pensait perdu au fond d'elle-même, Andréa entreprit une pirouette de la dernière chance. La barre immobilisée, l'homme qui la tenait devait s'attendre à ce qu'elle tente de la récupérer, pas de lui "donner". Elle plongea en avant, donnant un violent coup sous l'œil de son opposant. L'autre appuya instantanément sur la détente et elle sentit un frisson glacé parcourir sa nuque lorsque la balle évita ses vertèbres cervicales de quelques centimètres.

La jeune infirmière savait qu'elle n'aurait pas de seconde chance et roula au sol. Si le combat au corps à corps n'avait jamais été son fort durant les entraînements de Bruce, l'esquive et tout ce qui se rapprochait des mouvements de danse ou de gymnastique lui étaient instinctifs. Elle devait survivre et les occuper le temps que Red Hood les mette hors d'état de nuire.

Alors que le combat se poursuivait sur le toit, des balles fusant de temps à autre, elle restait concentrée sur sa mission : rester en mouvement. Dans les films, les héros répétaient sans cesse de ne pas rester immobile, et d'éviter de courir en ligne droite. Dès qu'un conduit de cheminée ou une antenne se mettait sur sa route, Andréa en profitait pour se mettre à couvert en la contournant, un coup à droite, un coup à gauche. De temps à autre, elle rentrait la nuque dans ses bras pour effectuer une roulade, ou alors prenait appui maladroitement sur un rebord pour passer sur un obstacle.

La jeune femme n'avait aucune idée de combien d'hommes en avaient encore après elle, ni de combien pouvait être à terre, ni même si Red Hood était en mauvaise posture : elle n'osait pas se retourner. Tout comme pour sa course dans les escaliers, l'adrénaline et l'urgence lui avaient fait perdre la notion du temps. Elle continuait inlassablement, le souffle court, à parcourir en long, en large et en travers le toit du bâtiment. Elle s'apprêtait à escalader un autre bloc d'aération quand une main gantée lui saisit fermement la cheville, la tirant au sol.

Tome 2 _ Why did you bring a shotgun to the party?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant