20. James Dalius Hoffman (1)

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20. James Dalius Hoffman (1)





Alors, James Hoffman, il y a très longtemps, a déjà été beau. Plus que beau, même ; c'était un jeune homme magnifique. J'en admire les traits, tandis que je marche dans sa mémoire, consciente du cadeau qu'il est en train de m'offrir en se dévoilant enfin à moi.

A vingt-cinq ans, ce n'était pas le James Hoffman maigre et terrifiant que je connais. Ses joues n'avaient pas encore été creusée par cette espèce de faussé mortifère, il n'avait pas non plus les doigts squelettiques, les clavicules saillantes, les genoux aigus. Non. A vingt ans, James Hoffman était superbe.

Ténébreux, certes, mais impossiblement beau. Ses yeux trahissaient cependant l'obscurité qui règnerait en lui les décennies suivantes ; ils les avaient déjà immenses et sombres, insondables, en somme.

Il était déjà, aussi, très puissant. Ce qu'il me montre se déroule d'évidence après sa Consécration impossible.

Puissant, bien que jeune. La silhouette du sanguinaire redouté qu'il deviendrait un jour se détachait de son ombre.

James, avachit dans une chaise, avait croisé ses jambes sur un bureau de bois brut. Irina, assise derrière celui-ci, le fixait sévèrement, dans un blaser, serré à une taille légèrement enrobée. Sur la poitrine généreuse mais pudique, bien protégée par le blaser, une broche, qui brillait et affirmait son rang : la flamme du savoir. Son cou épais portait un collier d'émeraudes, et enfin, ses cheveux bouclés et clairs encadraient le visage massif et glaçant de la Passeuse la plus respectée, et la plus crainte de la Rive.

La fenêtre dans son dos laissait entrevoir la neige qui floconnait sur la ville. A l'architecture des hautes demeures de granit, je comprends qu'ils se trouvaient sur le continent Régent.

James nettoyait ses ongles à l'aide d'un couteau aiguisé, et près du mur de droite, il y avait un jeune homme.

Il avait des cheveux très blonds et des yeux très bleus, une bouche vive, rouge comme le sang sain, et il avait un quelque chose de gentil dans le visage. J'ignore d'où cela vient : une pommette peut-elle être gentille ? Un sourcil ? Un nez ? Tout ce que je sais, tout ce dont je suis certaine, c'est que le jeune homme aux traits doux qui parlait à James, le jeune homme qui avait un regard océanique et des cheveux ensoleillés, ce jeune homme était mon père.

Sacha Hoffman, en retrait, bras croisés contre sa poitrine, paraissait inquiet.

— Tu sais bien que nous risquerions de perdre des combattants, James, alerta froidement Irina Boltz.

— Et alors ? rétorqua James, en raclant l'ongle de son pouce. Ils savent ce qu'ils font en s'engageant.

— Nous sommes trop peu nombreux pour ça, encore.

Le jeune James Hoffman soupira exagérément en penchant sa tête pour convoquer la sagesse du plafond :

— Aaaaah, Irina..., lâcha-t-il, les yeux perdus dans les moulures. Si vous me perdez, vous les perdez tous.

Et il la fixa de nouveau, prétentieux et fascinant.

On toqua trois petits coups presqu'inaudibles à la porte. Cette façon de demander à entrer, si faible et si timide, amenait un peu d'humanité dans le moment. Sacha se chargea d'ouvrir.

Une jeune femme franchit le seuil. Et au cœur du souvenir, je me fige.

C'était moi. C'était presque moi, à mieux la regarder. Les mêmes yeux noirs, le même nez droit, la même bouche très dessinée, la même couleur sombre de cheveux, et la même taille, la même allure. La même démarche.

La troisième Rive, tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant