12. La cité des Artres (2)

112 21 45
                                    

12. LA CITE DES ARTRES (2)








Le rocher s'élève, jusque dans le ciel. Immense. Sinistre. Menaçant. Tout autour de lui, les éclairs jaillissent et grondent. La mer, déchaînée, se cogne contre les piques grises de la roche. Le bruit est terrible, agressif. L'Essence est enragée.

Elle m'en veut. Elle en veut à la Rive et aux Passeurs.

Elle me parle je crois. Elle hurle au travers du vent, des vagues et de ses éclairs. J'entends la langue Essentielle... Soudain, la foudre s'abat sur le rocher des Artres. Il se fend, en deux, et des roches grises et noires tombent dans l'océan, à des mètres plus bas.

Et la voix de l'Essence raisonne puissamment au-dessus de la tempête et dans tout ce que je suis : « LES ECRITS MENTENT ! ».

Puis une autre voix, plus douce. « Khan...réveille-toi. Kahn, tout va bien. ».

Mais l'Essence rugit encore : « LES ECRITS ! » et son timbre se fait prophétique au travers de la foudre et de la rage de l'océan « MENSONGE ! ».

J'ouvre les yeux. Plusieurs gouttes de sueur perlent à mon front. Le soleil est déjà plein, il passe à travers la fenêtre improvisée, taillée dans l'argile, et s'écrase sur mon visage. J'halète, je me tords sous l'épaisse couverture qui m'a protégée la nuit durant du froid, mais qui m'envahit à présent. Je suis moite, angoissée, fébrile.

J'ai rêvé de l'Essence. Et l'Essence m'a parlé.

Mon cœur cogne dans mon thorax avec violence. Il me fait mal. Il me dit qu'une chose terrible va se produire. Ou s'est déjà produite peut-être ?

Je peine à respirer, quand je sens une main sur mes cheveux. Une main très douce, très chaude, aussi. Qui me caresse le haut du front.

Araphël. Depuis combien de temps était-il là ?

J'ai cru entendre sa voix, perdue celle de l'Essence. Oui, c'est ça. Il est venu auprès de moi, dans mon lit d'appoint, pour tenter de me réveiller.

Ses chuchotements continuent, et ils m'aident à m'extirper de l'angoisse :

— Tout va bien...Tout va bien, Kahn.

Je parviens à ouvrir plus grand mes yeux. Et ce sont les siens que je rencontre aussitôt. Concentrés, soucieux, Araphël maintient sa paume sur ma tête. Il m'apaise, rien qu'à la toucher de cette façon. Respectueuse, douce, presque distante.

— J'ai...J'ai rêve d'Elle...

Les sourcils dorés du rhéteur se penchent un instant, et, toujours dans un murmure, il s'enquiert :

— Tes rêves reviennent ?

— Non, c'était...C'était...J'en sais rien.

L'Essence m'avertissait. Ou bien, elle m'accusait, je n'arrive plus à me souvenir...Si. Elle hurlait. Elle hurlait que...

— Les écrits mentent...soufflé-je en me redressant.

Araphël retire sa main au mouvement. Il se tient accroupi, les coudes posés sur ses genoux, et il est particulièrement attentif à mes expressions, ma respiration, et les aveux que je lui livre :

— Elle criait. Il y avait de l'orage. Sur le rocher des Artres. Elle criait dans sa langue, et me disait que...que les Ecrits mentent.

Il assimile mes dires dans un silence, plein de réflexion, qui me permet de retrouver mon souffle, ma vue, tout mes esprits. Puis, toujours focalisé sur moi, il questionne sans brusquerie :

— Tu peux te lever ?

— Oui, je vais bien.

— Alors je t'attends dehors.

La troisième Rive, tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant