28. ETHIQUE ET EQUITE (1)
— Tu peux arrêter de battre du pied ? Ça m'agace.
Je me suis réfugiée dans la bibliothèque du Stikos de Beleveil. Tout à l'image de celle du Palais de l'île aux Essences : en contrastes de ténèbres et de lumières. C'est simple ici, tout se divise entre noir et blanc, ça n'a pas de nuance, ça ne vient pas glisser de complexité dans la peinture de son décor. Même les lumières sont manichéennes.
Elles ne m'épargnent cependant pas de la conscience aigüe de Chosthovak à une trentaine de kilomètres, des yeux colériques du rhéteur qui tournent dans ma mémoire, et de la franchise déroutante de Maïdib Farass.
— Change de table si c'est trop, rétorqué-je en accentuant volontairement le battement de mon pied.
— Tu viens t'asseoir là où je me trouve déjà, tu prends tout l'espace, et puisque ça me dérange, c'est à moi de m'en aller, relève Maïdib sur le ton de la réflexion. C'est très régent, comme façon de faire.
Je forme une boule avec le brouillon inutile que j'avais rédigé et la lui balance à la figure. Il esquive, dans un rire de gorge qui me réchauffe, puis reprend la lecture de son ouvrage.
— Tu te travailles sur ta rhétorique ?
Maïdib grogne en guise de réponse. Mes questions le déconcentrent, alors qu'il vient ici tous les matins pour approfondir ses recherches.
Peut-être. Mais j'ai besoin de m'occuper les pensées. J'insiste :
— L'art de la guerre chez les premiers indépendants ?
— Bon.
Il referme son livre d'un geste sec, se penche sur la table de bois où je lui fais face et plante ses yeux noirs dans les miens :
— Tout le monde est au courant, héritière. Dam Langlois est décédée, qu'elle passe en paix dans la Troisième si ces absurdités vous font du bien, et l'Observateur que tu détestes vit en ce moment chez le Dem, à une ou deux chambres de la tienne. Je me doute que tu as besoin de te changer les idées, mais je ne suis pas ce genre d'ami.
— Et quel genre d'ami tu es ? m'enquiers-je, la moquerie au fond de la voix.
Son honnêteté me fait du bien. Lui aussi, transforme tout en simplicité. Comme cette pièce.
— Je n'en ai aucune idée, mais cette situation m'indique quel genre je ne suis pas. Et je ne vais te poser de question sur ton état, je ne vais pas te réconforter, et je ne vais certainement pas sacrifier mon travail de rhétorique en te « changeant les idées ».
— C'est assez naze, comme amitié, noté-je en m'affalant dans le dossier de ma chaise.
Je le détaille plus longuement, sous la grande lumière de cette partie de la pièce. Il aime profondément sa mère, c'en est envahissant. Pas de frère et sœur. Pas d'ami.
Mince, il m'apprécie sincèrement. Il s'en veut d'être incapable de normalité. Et cette peur de la mort m'étouffe une fois de plus.
— Ce n'est pas grave, tu sais, lancé-je tout à coup.
— De ?
— D'être différent des autres.
Maïdib marque une pause, désorienté. Il ouvre la bouche, la referme, plisse le regard. C'est un jeune homme assez beau ; les rondeurs à son menton et son ventre lui vont bien. Il plaît assez d'ailleurs, mais ça ne l'intéresse pas. Comme beaucoup d'entre-deux, il n'aime pas le contact. Clara avait besoin de baie pour se laisser toucher. Lui, n'a pas sombré dans cette facilité. Mais il est malheureux.
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La troisième Rive, tome II
FantasyTome 2 : La lumière du Grand C A présent, l'élite observe Hélianne Kahn d'un oeil nouveau. Mais si son nouveau statut auprès de la Régence lui assure un avenir radieux, son rôle dans le monde des Passeurs, lui, constitue encore une menace. Qui son...