20. SAUVER LE SANG MAUDIT (partie 1)
Et pourtant nous sommes là, à marcher ensemble jusqu'à la demeure du Dem Langlois, sous le toit de la nuit pour couvrir nos secrets.
Nous ne disons rien.
Il n'y a pas eu de danse. Il n'y a pas eu de nuit dans le désert, de manque, ou de doigts entrelacés. Nous marchons, en mentant à nos pas, et en oubliant volontairement.
Aucun mutisme ne m'a jamais paru aussi rempli. Taire une vérité, c'est la faire éclater dans le poids du silence.
Les grillons et les chouettes accompagnent notre évitement. Ma robe bleue valse derrière moi lorsque je descends la petite pente menant à la plaine. Il a eu un geste pour m'aider, mais l'a annulé.
J'atteins donc seule et sans sa main, le début du chemin de terre.
C'était une belle Célébration ; nous ne sommes cependant pas restés longtemps. J'ai accordé deux danses à Maïdib, serré quelques mains de Vénérables, puis j'ai remarqué le terrible ennui du rhéteur près du buffet, encore alpagué par des jeunes granciennes gloussant. Et j'ai décidé de mettre fin à la fête, en nous autorisant un départ précoce.
A présent, nous marchons, tendus, jusqu'à la demeure de verre qui doit dormir à cette heure.
— Je dois retourner voir les Gourek.
J'ai rompu la bulle glacée qui nous enveloppait de cette simple phrase. Puisqu'elle est vraie, et qu'elle prime sur n'importe quelle ambiguïté qui nous grignoterait tous deux.
— Une piste pour tes rhétoriques ?
— Je me fous de mes rhétoriques.
Il me jette un regard en biais, étonné, mais ne commente pas.
— Alors pourquoi ?
— James a forcément trouvé de l'aide chez eux. J'ai besoin de savoir laquelle. Il y a cette...cette notion, de « pardon de l'Essence », si on répare la...
— « Si on répare la faute causée, elle accorde son pardon ». J'y ai pensé. Seulement ton oncle a dû franchement, franchement déconner Kahn, pour en arriver là. Et le compte de Ses pardons s'avère très rare, dans l'histoire de la Rive.
— Rare, mais pas inexistant, insisté-je, sûre de moi. Qu'est-ce que j'ai à perdre ?
— Du temps ? propose-t-il.
Je m'arrête en plein milieu du chemin. Sa réponse me heurte avec une violence qui me surprend.
— Tu étais le premier à vouloir le sauver !
Araphël stoppe sa marche à son tour, et plie le dos en arrière, pour expirer, éreinté, le visage face au ciel :
— Ah, Kahn... Oui, j'étais le premier.
Il se redresse, m'affronte, et argumente sans délicatesse -pourquoi je m'en étonne, il s'agit d'Araphël- :
— Mais le Suprême a évoqué ta faille, et il se trouve que ce sont les deuils. Tu te lances à corps perdu dans le sauvetage de ton oncle parce que tu ne peux pas envisager de le perdre, parce que tu es incapable de dire A la Troisième Rive à ceux que tu aimes. Et si tout ça n'était qu'une monumentale perte de temps parce que tu refuses d'accepter la sentence de la vie, qui est que nous mourrons tous ?
Je laisse ma mâchoire pendre, quelques secondes, avant de récupérer un peu de contenance :
— Je fais un deuil, rétorqué-je d'une voix volontaire. Là, en ce moment-même. Et je fais un deuil assez dur, si tu veux tout savoir. Je ne suis pas obsédée à l'idée de conserver en vie ceux qui doivent mourir, mais lui...lui c'est...
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La troisième Rive, tome II
FantasyTome 2 : La lumière du Grand C A présent, l'élite observe Hélianne Kahn d'un oeil nouveau. Mais si son nouveau statut auprès de la Régence lui assure un avenir radieux, son rôle dans le monde des Passeurs, lui, constitue encore une menace. Qui son...