Chapitre 1 Le répartiteur

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Chapitre I
LE REPARTITEUR



Ce n'est pas un surnom qui le condamne. Il n'y a rien de péjoratif, du moins, rien pour lui, derrière ce « Sang-maudit » que tous se plaisent à employer. C'est un nom qu'il a lui-même choisi, pour que frémissent ses ennemis à sa simple prononciation. Le sang-maudit, ce n'est pas lui, c'est la conséquence de son passage. Il veut que nous sachions qu'il éteindra nos lignées si nous le provoquons. Voilà pourquoi j'interdis qu'on l'appelle ainsi. Ce nom est porteur d'une prétention meurtrière qu'il nous faut rejeter absolument. James Hoffman ne maudit pas le sang de son ennemi, il n'a pas le pouvoir d'éteindre les descendants de l'Essence. Désacralisons le monstre, tuons la légende, détruisons le surnom. Et vous verrez qu'il n'est qu'un Passeur parmi les autres. Un Passeur mortel, qui subira ma sentence lorsque l'Essence l'aura décidé.

Déclaration du Troisième Degré à l'Assemblée des Essences, quatre ans plus tôt.





Au septième jour du mois, alors que le soleil éclaire doucement la cité Régente, et qu'aucun nuage ne vient couvrir le ciel d'un printemps plein, les Hautes Cloches résonnent quatre fois, dans l'ensemble des quartiers.

La cérémonie funèbre dure trois heures, et ceux qui n'y assistent pas ont tout de même l'obligation de porter la cape endeuillée la journée entière.

La Cantrice, formée à la Grande Connaissance des Arts, entonne le chant des morts, et sa voix se fait entendre jusque dans les sous-sols du Stikos. On plante l'arbre sous les cendres, on fixe la terre plusieurs minutes, sans avoir le droit de parler.

Puis, les Hauts-placés s'expriment. L'Union, tout d'abord, qui salue la rigueur de la Vénérable Kahn, puis le Stikos, représenté par Rana Karass, qui en acclame l'érudition, et enfin, la Régence, incarnée par V.Brahamil en personne, qui honore son honnêteté.

Parmi l'élite de la Cité et du continent entier, au premier rang des endeuillés, je m'autorise enfin à pleurer ma mère.

Et à mes côtés, tout aussi ému, se tient un Avéré qui n'a pas le droit de me toucher la main, mais qui brûle de le faire, je le sens, pour m'accompagner tout au bout de ma tristesse.

Aucuns yeux verts aujourd'hui, ni hier. Je les ai surpris m'observer et menacer de fissurer les pierres du Stikos quatre fois déjà. Pourtant, personne n'est venu me chercher. Depuis plus d'une semaine, j'attends, je redoute, j'anticipe. Rien.

De même pour Araphël. Il ne m'a pas adressé la parole depuis que j'ai tenté de le remercier. Et pas un regard non plus. L'indifférence, totale, depuis qu'il sait que je suis l'Oracle.

Tout ceci me place dans un état de crainte permanent. Je sais qu'il va se produise quelque chose. Mais quoi, et quand, je l'ignore. C'est insupportable.

La foule compacte suit finalement la Vénérable Karass dans la grande salle d'accueil du Stikos, pour le vin final. Tout le monde m'observe.

Je me place près d'elle lorsqu'elle son verre, et que la centaine d'invités privilégiés souhaitent à ma mère de « quitter la Rive en paix ». Je voudrais m'enfuir, en vérité. Retrouver James et me blottir dans ses bras maigres.

Mais je n'ai pas l'occasion de partir une fois la cérémonie achevée, parce que Chosthovak vient de se planter devant Karass et moi, et qu'il annonce, d'une voix solonnel que je ne lui connais pas :

La troisième Rive, tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant