16. Deux prédictions

126 21 129
                                    

16. Deux prédictions 




Ce n'est pas le vide.

C'est un chaos de cris, de souffrances, de brûlures et de morts. D'os brisés. C'est la destruction de chaque fibre de mon corps. La dissolution des muscles, des nerfs, des cellules. J'entends des hurlements. Il y a de l'or, du sang, des abysses et des constellations. C'est un plongeon dans la fin des temps. Aucun chat n'y survivrait.

Mais moi, si.

Parce que c'est terminé, nous sommes arrivés, et nous sommes entiers. Parce qu'Elle ne me laissera plus. Parce qu'Elle me fera survivre à tout : l'abandon, la mort des enfants, et le Souffle d'Araphël Aesma.

Elle me maintient en vie. Elle me maintiendra toujours en vie.

Et tout mon corps reprend forme, sans aucune douleur. Sans un seul changement de vue, d'ouïe, de perception. Je suis là, debout, tout simplement vivante.

— Putain de merde !

Araphël vient de cracher ses jurons en me lâchant brusquement, pour reculer de trois pas, et s'accrocher au dossier d'une chaise derrière lui.

Il plaque une main sur son front, se tâte, reprend son souffle, puis, paniqué, relève ses yeux dorés vers moi, et me constate...entière. Il se précipite alors, n'hésite plus à me toucher, entoure mon visage de ses deux mains et halète :

— Tu n'as rien...Tu n'as rien, bordel ! Tu es...Comment tu te sens ? Tu n'as pas mal ? Tu vois bien ?

Je pourrais éclater de rire, si je n'étais pas si soulagée. Je me contente de poser mes paumes sur le dos de ses deux mains, et de lui assurer, d'une voix qui ne tremble même pas :

— Tout est normal, yeux d'or.

Il lâche un énième juron dans un soupir profond, les yeux clos sous le poids de la délivrance. Puis, il prend le temps de déglutir, inspire un grand bol d'air, et s'écarte de moi.

— Comment tu as su ... ? susurre-t-il, effaré.

— J'ai su.

Et je n'ai vraiment aucune autre réponse à lui fournir.

A présent, ses yeux découvrent le lieu où nous avons soufflés avec surprise. Il n'avait visiblement pas prévu de nous emmener ici.

Et je n'ai aucune idée de ce que c'est, « ici ».

— Et merde, lance-t-il en reconnaissant l'endroit.

Il est d'un vulgaire, quand il est pris de court !

Je balade mon regard, qui n'est même pas flouté par le Souffle précédent, qui est acéré et limpide, tout autour de moi.

Quel endroit étrange...

Je suis dans un salon, d'évidence. Très chaleureux, rempli de toutes sortes de décorations manquant de sens. Des bibelots d'une rare mocheté, des portraits de granciens, et de régents, des tableaux de paysages. Des meubles, éparpillés : tables basses, chaises, livres au sol directement, bibliothèque de travers, à demi vides.

— Je ne pensais pas qu'on arriverait ici, je visais la demeure de Jacques, se désole Araphël.

Tout est en bois. Les murs, couverts de lambris, le sol, qui est un parquet, la porte derrière lui. Et jusqu'au plafond, couvert de planches d'ébènes. Il fait aussi chaud que dans le désert quand Araphël a oublié de me protéger du soleil.

La troisième Rive, tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant