24. DEUX IMPROBABLES TRIOS
Comme Chost m'en a averti, je trouve ce matin des gardes armés de la Protection à l'entrée des grilles du Stikos, ainsi que de ses deux immenses portes. La veille, mon oncle ne m'a même pas demandé où je m'étais enfuie pendant quelques heures. Et c'est tant mieux. S'il savait dans quelle quête je viens de me lancer, il me forcerait à reculer. C'est, bien entendu, hors de question.
Les Apprenants s'agglutinent, en file, les uns derrière les autres, pour être fouillés avant de pouvoir reprendre leurs Enseignements. Les divergences d'opinion quant à l'attentat commencent déjà à envahir les rangs, certains se plaignant du temps que nous perdons à nous faire fouiller, d'autres arguant que ce n'est pas suffisant comme protection, et d'autres, encore, hurlant qu'il nous fallait plus de repos pour honorer les huit victimes de la bombe.
Je ne sais même pas qui est mort. Avec l'enchaînement de révélation, le bruit, l'intervention de Jacques, ma nouvelle quête, j'ai complètement oublié de me demander si je connaissais des victimes. Tout ce qui m'a vraiment importé, c'était d'être sûre que Chost n'avait rien avoir avec cette attaque.
Je réalise combien je suis devenue dure tout en supportant les mains de la Protectrice sur mon corps puis en passant les hautes portes sans rien ressentir. Il y a trois jours à peine, huit de mes pairs succombaient à l'explosion, et...je n'en éprouve rien. Le bruit lui-même a disparu. Je devrais peut-être remercier Jacques pour ça.
Je m'élance dans le marbre sacré, monte les marches, tourne vers l'aile Ouest, et longe le couloir menant à mes Enseignements d'Economie nouvelle. Avec vingt minutes d'avance, je me plais à fouler les lieux sans empressement, perdue dans la bataille de pensées sous mon crâne, sombres et enragées.
Je dresse la liste de tout ce qui m'échappe encore sur la Rive, et au-delà d'elle, même. Les volontés impalpables de l'Essence. Le combat des Dissidents. La condamnation de James. Le lien unique entre Araphël et Chost. Les lèvres de Nhils sur celles d'Hellaf.
Une minute.
Planqués au croisement de notre aile et de celle des Rhéteurs, les deux Apprenants se dévorent la bouche, persuadés qu'à cette heure personne encore ne les surprendra. Seulement le Stikos commence à se remplir, et ils feraient mieux de se détacher dans la seconde. Je toussote gravement, ce qui les fait sursauter d'un même mouvement.
Nhils balbutie, tandis qu'Hellaf écarquille ses yeux bleus pour bondir le plus loin possible de son amant secret.
Si je m'attendais à ça.
Je comprends qu'ils se dissimulent entre deux couloirs, même si, soyons objectifs, ils ont clairement manqué de discrétion aujourd'hui. Je suppose qu'il s'agit là de retrouvailles, et que le baiser leur a été imposé par un élan de passion soudain. Mais enfin, si ça s'apprend, ils risquent d'être rejetés par tout le Stikos. Pour Nhils, c'est trop tard. Mais Hellaf peut encore sauver sa réputation.
— Trois minutes de plus, et tout le monde le savait, signifié-je, en vérifiant que personne n'arrive encore dans ce coin du château. Vous avez de la chance que ce soit moi.
— Question de point de vue, grince Hellaf.
Il jette à son partenaire un regard mauvais, rempli de reproches et d'amertume. Avant de récupérer sa sacoche d'un geste vif pour me dépasser et se rendre à l'amphithéâtre.
Nhils récupère une contenance. Il remonte le col de sa chemise, rajuste sa cape d'Apprenant et son étole à l'effigie du Stikos, pour affronter mon œil dubitatif.
— Quoi ? grince-t-il.
Les fils se relient à l'instant où je perçois son malaise :
— C'est ça, votre dispute. Il ne t'a pas rejeté à l'accusation de ton père. Il veut que vous vous montriez à tous, et pas toi.
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La troisième Rive, tome II
FantasíaTome 2 : La lumière du Grand C A présent, l'élite observe Hélianne Kahn d'un oeil nouveau. Mais si son nouveau statut auprès de la Régence lui assure un avenir radieux, son rôle dans le monde des Passeurs, lui, constitue encore une menace. Qui son...