Nous progressons, dans la chaleur et l'aridité, côte à côte, sur les plaines d'un désert toujours plus silencieux. En quittant l'abris à ciel ouvert où campe ce peuple si singulier, la vieille Dam qui a touché mon ventre des yeux pour en constater le vide, m'a répété les mots de la veille. Elle ne m'en a pas traduit le sens, et mon rhéteur favori a retrouvé son expression grave et contrariée.
Oyocha yellaf.
Je trouverai seule ce que cela veut dire.
A présent, nous marchons, en direction du temple de mon prédécesseur. Si le peu de vent n'apporte avec lui aucun bruit, et si l'horizon est dépourvu du but, tout de sable et de ciel, Araphël, lui, s'avère plus bavard qu'à l'ordinaire, pressé sans doute de démêler le vrai du faux, d'obtenir mon propre avis sur le récit du conteur. Enthousiaste d'une certaine façon, méfiant d'une autre. Il est plein de ces nuances de raisonnement qu'ont les penseurs brillants. Il pèse, sous pèse, il se prend en compte dans sa vision du récit. Il distingue, ou tente de distinguer, ce qu'il voudrait vrai, de ce qui l'est probablement.
Et je rebondis, questionne, sous-pèse avec lui.
Si bien que le trajet passe, vite, et que nos mots sont les seules perceptions de vies présentes à des kilomètres.
— Ce qui me dérange, développe Araphël dans notre avancée tranquille, c'est l'idée que le Zégaï n'ait pas vaincu l'Adversaire, tout en étant...l'être le plus puissant de la Rive.
— Moi ce qui me dérange, c'est que l'Oracle ait choisi un parti, puis un autre.
— Tu as peur de faire la même chose, Kahn ?
— Je crois que j'ai peur de toute cette histoire.
Araphël ralenti son pas, pour le stopper totalement, et me faire face, sous le soleil plombant. Son Essence nous épargne de suer, de geindre, et de nous effondrer sous l'assaut de chaleur. Mais la lumière reste vive, et, ainsi déposée sur sa peau déjà teintée d'or, elle semble le faire scintiller.
— Il va bien falloir te pencher dessus à un moment donné, avertit-il, retrouvant la sévérité de son ton que je connais bien.
— J'ai quelques menues occupations ces derniers temps, tu n'as pas remarqué ?
— Tes rhétoriques sont un détail.
Je le toise en silence un instant, laissant la bêtise de sa réflexion faire son chemin seule jusqu'à ses oreilles, mais puisqu'il ne semble pas l'entendre, je me dois de synthétiser :
— Mes années au Stikos, mon avenir, et l'acharnement que j'ai mis dans la réussite, sont un détail.
— Voilà.
Comme si nous venions de nous accorder sur un point franchement basique, Araphël reprend sa marche. Je reste interdite, l'observe s'éloigner, puis trotte pour me retrouver de nouveau à sa hauteur.
— Tu n'es pas sérieux ?
— Et toi ? grince-t-il en regardant devant lui. Tu mets sur le même plan un potentiel siège à l'Union et l'avenir de la Rive entière. Je vais te laisser quelques secondes pour évaluer ce qui pèse le plus de poids.
Je m'apprête à répondre lorsqu'il ajoute :
— C'est la Rive. De rien.
C'est dans ce genre d'instants qu'il m'agace le plus. L'évidence avec laquelle il lance ses vérités, la prétention tapissée dans sa gorge, l'aisance de ses pas et de ses gestes. Il a toujours été ainsi, mais quand ça me pique, moi, ma main me démange de s'abattre quelque part sur son visage aux traits un peu trop harmonieux.
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La troisième Rive, tome II
FantasyTome 2 : La lumière du Grand C A présent, l'élite observe Hélianne Kahn d'un oeil nouveau. Mais si son nouveau statut auprès de la Régence lui assure un avenir radieux, son rôle dans le monde des Passeurs, lui, constitue encore une menace. Qui son...