Chapitre 2
LA MAISON DE VERRE ET DE LUMIERE
L'air est saturé de chaleur ; la première et une unique fois que James m'a amenée ici, j'en avais aimé la température. Aujourd'hui, je la trouve oppressante, et douloureuse, dans la gorge, quand on respire.
Idem pour la lumière, que j'avais estimé sublime, et qui me paraît agressive tout de suite.
Je suppose que notre vision de la Rive change au gré de nous-même.
Ou alors, c'est le bâtiment étrange devant moi, qui m'attaque réellement la rétine. Il y aurait de quoi.
James nous a soufflé sur une plaine à l'herbe jaune, typique de l'assèchement du Grand Continent. J'ignore où on se trouve, exactement. Mais je devine que ce doit être près de Beleveil, la capitale. Le Grand C est composé de cinquante six pays, et un seul possède un Stikos. James m'a forcément traînée dans celui-ci.
En revanche, je n'ai aucune idée de la nature de l'édifice devant lequel nous venons de nous incarner. Ni même de ses origines architecturales. A une autre époque, il y a un mois, par exemple, je me serais posé la question. J'aurais dressé la liste des modes de construction en fonction des ères, - Pré-constructive, Constructive, Continentale...-, mais, aujourd'hui, je me contente de suivre le pas de mon oncle vers ce qui doit être la porte d'entrée.
La bâtisse est haute de deux étages et s'étale sur environ cinq cent mètres carrés. Et c'est une demeure entièrement de verre. Hormis le toit, qui me semble fait de tuile d'ardoise. Le reste : fenêtres, murs, portes, est un assemblage de vitre transparentes, dont certains rideaux ont été fermés, et d'autres, laissés ouverts pour nous permettre d'admirer l'intérieur du foyer.
Tout me paraît incongru, à commencer par l'utilité d'une maison laissant le soleil entrer à ce point, dans un coin de la Rive où il faudrait, au contraire, s'en protéger.
Mais je ne suis pas là pour juger le mode de vie des Granciers. Je suis ici pour...commencer une rhétorique, apparemment. Là encore, mon fantôme picote au loin. J'aurais été hâtive, enthousiaste, bouleversée. Enfin, je suppose.
James s'arrête devant la porte transparente, tout de noir vêtu sous le soleil éclatant. Ça me fait aux yeux. Il garde mon bagage à la main, et je réalise que, pour quelqu'un ne pouvant plus souffler à sa guise, il n'a rien emporté avec lui.
Peut-être qu'il a prévu de mourir ici.
Derrière le verre, j'aperçois une silhouette. Pas besoin de sonner ici, puisqu'on voit venir les éventuels invités à plusieurs kilomètres.
C'est une femme. Petite, vieille, élégante. Elle s'immobilise derrière la porte-vitre, détaille James des pieds à la tignasse, et ne lui offre pas de sourire avant de nous ouvrir.
Je la toise à mon tour, en prenant plus de temps.
Elle doit avoir quatre-vingt, quatre-vingt-dix ans. Sa peau brune est fripée, front, yeux, bouche, cou, tout est marqué par le temps. Cependant, son dos ne s'est pas voûté sous les saisons. Et ses cheveux blancs ont été attachés dans un haut chignon retenus d'un bandeau bleu.
Ce devait être une femme sublime, avant. Ou... Non. Elle l'est encore. Puisque ses yeux noirs scintillent d'une intelligence hors du commun, que ses gestes s'avèrent gracieux, maitrisés, et qu'elle porte sa tête haute, à la façon d'une Amaras. D'ailleurs, elle est vêtue d'une robe dans le même voile léger de tissu bleu que Sarina-celle-qu'il-a-choisi-finalement.
Je n'aime pas ce tissu bleu.
— Il vous attend.
Et sa voix aussi est superbe. Celle de la sagesse, décorée d'un accent plein d'épice, de chaleur et de traditions granciennes. C'est une native, d'évidence.
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La troisième Rive, tome II
FantasíaTome 2 : La lumière du Grand C A présent, l'élite observe Hélianne Kahn d'un oeil nouveau. Mais si son nouveau statut auprès de la Régence lui assure un avenir radieux, son rôle dans le monde des Passeurs, lui, constitue encore une menace. Qui son...