3. Bienvenue sur le grand C (1)

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CHAPITRE 3 BIENVENUE SUR LE GRAND C




Si je me suis figée sur la chaise, en attrapant le couteau dans un geste réflexif, je comprends très rapidement qu'il n'est en aucun question d'attaquer James. Non. Il est question de le vénérer.

Les trois Passeurs ont couru jusqu'au bout de la table, et, d'un même mouvement, se sont tous les trois agenouillés devant mon oncle, impassible. Parmi eux, je reconnais la chevelure rousse de cette Indisciple que mes dons m'avaient montrée, un soir. Un prénom en « J », je crois. Impossible de me souvenir.

Les deux autres me sont inconnus. Le premier est large, des épaules, des jambes, du ventre ; il a teint ses cheveux en bleu ciel, et possède une peau mate, suggérant une alliance entre deux continents. Le deuxième est aussi fin que son confrère est épais. Et, dans l'ensemble, il est brun. Des cheveux bruns, une peau brune, et des vêtements marrons.

Puisqu'ils ne relèvent pas encore leur visage soumis à l'admiration, je n'ai accès à rien d'autre.

Araphël se tient derrière eux, la honte et la lassitude marquant la beauté de ses traits. Il est visiblement navré d'avoir à assister à cela.

— Sang-maudit, honore la rousse, le nez plongé sur le carrelage.

Araphël lève les yeux au ciel dans un soupir audible ; je crois qu'il voudrait qu'on passe tous rapidement à autre chose.

— C'est un ho...c'est...merci d'être venu jusqu'ici, Sang-maudit, ajoute le plus large, d'une voix fluette, paralysée par le trac.

— LE Sang-maudit, vous êtes... commence le deuxième.

Araphël m'accorde un regard pour la première fois depuis qu'il est entré. Même pas un bonjour dans le fond de ses yeux. Il lève ses sourcils châtains, comme pour me dire, au travers de sa grimace : « voilà les boulets que je me traine, au fait bonsoir, Kahn. »

Et un sourire nait dans mon ventre. Je ne le laisse pas atteindre ma figure, mais je le sens. Là. Prêt à revenir peut-être un jour.

Cela faisait des semaines que mes entrailles n'avaient pas souri.

— C'est bon, vous avez fini ? grince-t-il.

— Relevez-vous.

L'ordre de James suffit à les voir, tous les trois, bondir sur leurs jambes et se redresser en une seconde.

Maintenant, j'en détaille les visages.

La rousse est aussi belle que dans ma vision d'Oracle. Grande, flamboyante, des yeux marrons tirant à l'écarlate, des lèvres épaisses, elle porte une tenue qui moule l'intégralité de son corps. Et c'est un corps agréable à regarder.

L'imposant Passeur aux cheveux bleus, lui, possède une bouche quasi inexistante, des joues rondes, et des yeux de la couleur de sa teinture.

Quant au dernier, fluet, tout d'os et de vêtements trop larges, il a fait percer l'anneau de son nez, le creux de son menton, et la courbe de son arcade. Improbable trio, du genre, qu'on ne voit jamais à la Régence.

— Je t'avais dit qu'ils tenaient absolument à venir, ponctue Jacques Langlois, pendant que mon oncle, tranquillement, allume un bâtonnet de tabac.

Je m'étonne qu'Armande ne gronde pas à ce geste, mais je remarque quatre batônnets posés de son côté de la table.

Puis, comme si tout cela relevait de la banalité, les trois Passeurs -Indisciples, certainement- viennent s'asseoir à nos côtés, en prenant bien soin d'être le plus proche possible de James.

La troisième Rive, tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant