28. bis Ethique et Equité (2)

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La maison est pleine d'agitation, de bruit, de fracas et de vie. Je déteste ça.

Les voix proviennent de la grande pièce où nous dinions tous ensemble, ces derniers moi. Elle à présent envahie d'hommes que je ne connais pas.

Tous vêtus de noirs, une seule femme, tiens. Ils communiquent, classent des dossiers, s'opposent les uns aux autres. La femme fait les cent pas, le communiquant dans une main, une cigarette dans l'autre. Heureusement qu'Armande acceptait qu'on fume chez elle, j'aurais été vindicative sinon.

J'ai l'impression de voir des intrus dans ma propre existence. Pourtant je n'ai pas vécu tant de temps ici. Mais on me vole ma paix, c'est ainsi que je le vis.

Il n'y a pas Chost.

Mon cœur retombe dans ma poitrine. J'ai tellement peur de ce qu'il va me dire que j'aurais aimé le voir maintenant, au milieu de ce capharnaüm, plutôt que devoir encore longer le couloir et le chercher parmi les pièces. Tiens, le grand brun aux yeux bridés des annexes vient de se séparer de sa compagne. Je ne vois pas bien pourquoi l'Essence m'envoie ce genre d'information, mais d'accord, je note.

Puis je fais demi-tour, et naturellement, me rends dans l'étude du Dem.

Le couloir ne garde aucune trace de sang, ou du crachat de mon oncle. J'ignore qui a nettoyé, mais c'est impeccable. Je m'occupe l'esprit de banalité pour oublier combien mon cœur cogne dans mon thorax, mes tempes, mes veines.

La porte est entrouverte.

J'inspire, je me calme, comme je le peux.

Il est derrière. Il est là, à être...lui. Et j'ignore si j'ai la force d'affronter ça.

Sa bouche va me parler. Ses yeux vont me regarder. Et ses mains seront près des miennes, peut-être.

Je pousse la porte.

Il est penché sur le bureau d'ébène. Ses cheveux noirs en bataille se battent devant son regard colérique. Il semble chercher un dossier qu'il ne trouve pas.

Il porte un haut noir à manche longues, - évidemment- léger, un pantalon sombre également. Toujours des habits qui sont mal repassés, mal ajustés, mais qui lui vont bien. Car force est de constater qu'en ces quelques mois, Chosthovak Amaras est resté magnifique.

Il tourne des pages, grogne un juron que je n'entends pas, tourne encore.

Et j'arrive à faire un pas, pour refermer la porte derrière moi, et m'y adosser.

Chost relève la tête. Et se fige.

Ses yeux en amande ne dévient plus des miens. Lentement, il redresse le dos, la nuque, et finit par se tenir droit, face à moi. Sa main attardée sur le bureau lâche le dernier feuillet qu'elle tenait encore, et le silence nous glace alors.

Bon sang...Combien j'ai pu aimer ce visage, cette posture et ce corps. Combien je les aime encore à l'instant précis.

— Une ampoule.

Chost accuse ma première phrase dans un hochement de tête, avant de répliquer, sans teinter son ton de malice :

— Et un bout de poème.

J'acquiesce, lèvres pincées. Mais je reformule tout de même après un silence :

— Une ampoule. Et un bout de poème.

Le silence s'égrène entre nous. Il ne baisse pas les yeux, n'essaye pas de fuir, et ne justifie rien. Il attend probablement que j'éclate tous les cadres de la pièce et lui enfonce les bouts restants dans le crâne.

La troisième Rive, tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant