26. Nouvelle Varlamov.

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POINT DE VUE DE GEORGIA :

Un stylo dans ma main, mon carnet sur la table, j'analysais le coucher de soleil depuis la terrasse sur laquelle j'étais assise depuis plusieurs heures maintenant.

Vitaly avait quitté le manoir après notre altercation, nous laissant seuls, Sergei et moi. Ce dernier ne m'avait pas croiser depuis le départ de son fils. C'était comme s'il m'évitait.

« Le choix.

Même si l'on en crève d'envie, on ne le possède pas toujours.
Et même lorsqu'on croit l'avoir, quelqu'un d'autre peut nous l'arracher.
Je pensais avoir le choix de dire non, et ce fut le cas, j'ai pu dire non.
Mais en prenant mon non pour un oui, tu m'as volé mon choix. »

En entendant la baie vitrée coulisser dans mon dos, je n'eus même pas besoin de me préparer psychologiquement à discuter avec Sergei. Il faisait parti des rares personnes avec lesquelles je pouvais discuter pendant des heures et des heures sans jamais être vidée de mon énergie. Je n'avais pas besoin de me forcer pour m'exprimer avec lui, c'était naturel. Peut-être parce qu'il s'était confié avant que je ne le fasse moi ?

Le vieil homme prit place juste en face de moi, déposant son verre de vodka sur la table en verre. Plusieurs secondes s'écoulèrent durant lesquelles le silence était le roi de notre conversation.

Je pensais que tu lui avais dit, m'avoua subitement Sergei.

Je relevais doucement la tête vers lui. Ses yeux clairs se plongèrent dans les miens et j'y reconnus le même éclat de tristesse que celui que j'avais vu dans le cimetière, quelques mois auparavant.

C'est un souvenir qui ne lui appartient pas, murmurais-je posément.

J'appréciais énormément Vitaly. Autant en tant qu'homme qu'en tant que parrain. Cependant, à mes yeux, j'ai le droit de mettre plusieurs mois avant de lui révéler certains points importants de ma vie. J'ai le droit de garder mes secrets encore quelques temps pour moi, pour tenter d'y mettre un point final toute seule.

C'est ton droit. Si c'est ce que tu as voulu, alors tu as eu raison. Il n'y a rien à regretter, affirma alors le parrain en buvant une gorgée d'alcool.

Je déposais délicatement mon stylo contre la table. Au même moment, Sergei tendit la main dans l'espoir de pouvoir lire ce que je venais d'écrire. Sans hésiter, je lui tendais le calepin.

Il écarta son verre un peu plus loin, afin d'éviter que ce dernier se renverse sur les écrits.

Pourquoi mettre des majuscules ?

Parce que ce sont les débuts de phrase, répondais-je en haussant les épaules.

Le parrain fronça les sourcils, comme si mes réponses lui déplaisaient. Il esquissa un petit sourire avant de relever la tête vers moi.

Si on part de ce principe, une phrase ne commence jamais par un « et ».

Sans réussir à le retenir, sa remarque m'arracha un véritable sourire. Un sourire vrai. Il avait parfaitement raison, on ne devait normalement pas commencer une phrase par une conjonction de coordination.

Il n'y a pas de règle en écriture. À travers tes écrits, tu donnes du sens aux mots, tu leur donnes la vie. Tu es le créateur de ton texte, par conséquent, tu décides de tes règles. Essaie d'écrire comme ça te vient, ne te mets pas de barrières avec les règles de la langue.

Ses mots firent sens dans ma tête. Je devais avoir le pouvoir d'écrire sans me soucier des règles d'orthographe ou de grammaire. Pourquoi se soucier des règles alors que je m'étais toute mon âme dans mes écrits ?

Je ne regrette pas, tu sais ? lâcha subitement le parrain en faisant glisser mon carnet sur la table. Je ne regrette pas d'être revenu te chercher.

Mon cœur se serra à l'entente de ses mots. Il ne regrettait pas de m'avoir ramener près de lui.

Si c'était à refaire, je le referai de la même façon, sans une seule hésitation, me jura-t-il. 

Tu as tenu parole, murmurais-je en esquissant un faible sourire.

Alors que des larmes commencèrent a perler aux coins de mes yeux, Sergei posa délicatement ses mains sur les miennes, à même la table. Il m'offrit un demi-sourire en serrant légèrement mes mains.

Un Varlamov n'a qu'une parole.

Je fermais les yeux pour tenter de ravaler mes larmes, mais rien n'y fit. Lorsque je sentis une larme rouler le long de ma joue, un sanglot m'échappa sans que je ne puisse le retenir.

Je t'ai observé de loin, pendant des mois, déclara Sergei. J'ai réfléchi au meilleur moyen de te récupérer sans déclencher de guerre.

Quelques secondes de silence s'écoulèrent durant lesquelles je rouvris les yeux, me permettant d'analyser l'expression crispé du parrain.

Je suis malade, Gigi, m'annonça-t-il. Il ne me reste que quelques semaines à vivre, tout au plus.

Non, soufflais-je en sentant mes larmes redoubler. Tu n'as pas le droit.

Le vieil homme éclata de rire, mais le voile de tristesse dans ses yeux ne s'effaça pas pour autant. Il avait l'air exténué. Il prit une profonde inspiration en secouant la tête.

Ce n'est pas moi qui décide, tu le sais, murmura-t-il en accentuant sa prise sur mes mains. Je t'ai récupérer avant de m'en aller pour de bon, pour que tu sois en sécurité et surtout, pour que tu parviennes à être enfin heureuse.

Je secouais négativement la tête en pleurant. Il n'avait pas le droit de me quitter comme ça. Il n'avait pas le droit de m'abandonner.

Vitaly n'est pas au courant que je suis malade, m'avoua Sergei. Je suis trop lâche pour le lui dire. Avant de mourir, je voulais lui apporter quelqu'un de sain, quelqu'un d'incroyablement talentueux, quelqu'un qui l'aime. J'ai toujours su que tu t'entendrais bien avec Vitaly.

Tu vas m'abandonner toi aussi, lui reprochais-je d'une voix secouée de sanglots.

Tu sais que ce n'est pas le cas, Gigi. Tu es maligne, mais souvent triste.

Je fermais les yeux, laissant les larmes rouler sur mes joues sans jamais oser imaginer la peine que Vitaly allait ressentir à l'annonce de la maladie de son père.

Vitaly ne saura jamais que je suis malade. Il a une haine profonde envers la maladie depuis qu'elle a emportée sa mère, il ne supportera pas qu'elle lui arrache son père, me révéla Sergei. D'ici quelques jours, je quitterai la Russie pour retourner en Italie. Je veux être enterré auprès de ma femme, et ce sera toi qui devra signer les papiers. Je t'ai récupéré, et tu me ferais vraiment plaisir...

Si je te rendais la pareille, devinais-je en évitant son regard.

Son silence profond fut suffisant pour m'apporter la confirmation dont j'avais besoin.

Je le ferai, je te le promets.

Je le sais. Tu es une Varlamov, me murmura-t-il d'une voix emplie de fierté.

Voilà alors qui j'étais.

Je n'étais pas Georgia Ferrari. Je n'étais pas juste Georgia. J'étais Georgia Varlamov.

GEORGIAWhere stories live. Discover now