Amnésie

Chapitre 6

L'idée qu'il devait absolument trouver un moyen d'infiltrer l'allée des Embrumes ne cessa de hanter Harry, même s'il n'en fit pas mention à ses collègues. Il devinait que ces derniers seraient horrifiés de ses intentions et qu'ils chercheraient à le dissuader.

Lorsqu'il lut le rapport concernant les victimes, il se figea en arrivant aux détails concernant la seconde victime. Si le premier corps retrouvé était celui d'un vieil homme mendiant dans l'Allée, le second corps était celui d'une femme d'une quarantaine d'années. Vêtue de vêtements de luxe — probablement du sur-mesure de chez Tissard et Brodette — bien que démodés, elle ne semblait pas à sa place au milieu de l'Allée.

Cependant, son identité avait été rapidement déterminée. Il s'agissait de l'épouse de Augustus Rockwood, ancien langue-de-plomb et Mangemort notoire condamnée à Azkaban à vie.

Lucresse Fawley, sang pur, ancienne élève à Poufsouffle, n'avait pas eu son mot à dire sur le choix de son époux : sa famille avait arrangé le mariage comme dans beaucoup d'unions sang-pur et elle s'était retrouvée liée à Rockwood.

Elle n'avait jamais porté la marque et toutes les personnes interrogées avaient assuré que Lucresse n'avait jamais soutenu les idées de Voldemort. Rockwood lui-même avait déclaré à son procès que sa femme était trop stupide pour comprendre l'importance des batailles menées par leur maître...

Malgré toutes les preuves que Lucresse Fawley épouse Rockwood soit une victime plutôt qu'une criminelle, personne dans le monde magique n'avait voulu la soutenir.

Ruinée — Rockwood avait dilapidé la fortune familiale provenant en grande partie de la dot de sa femme pour soutenir financièrement Voldemort — elle avait été chassée de leur résidence et elle n'avait pu retrouver de logement dans le monde magique. Le divorce n'existant pas dans le monde magique, elle portait toujours le nom de son époux, ce qui faisait d'elle un paria.

Finalement, Lucresse avait rejoint les autres épouses de Mangemorts dans l'Allée des Embrumes.

Harry grinça presque des dents en comprenant que la mort de Lucresse Fawley n'intéresserait personne. Pour l'opinion publique, elle serait juste une femme de Mangemort qui avait enfin été puni des péchés de son mari...

Il eut du mal à contenir sa magie furieuse en lisant le paragraphe suivant et il relut les quelques lignes à plusieurs reprises, comme pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une erreur de sa part.

Harry cligna lentement des yeux alors qu'une idée folle commençait à germer dans son esprit et il attrapa le rapport d'un geste brusque en se levant.

Avec un vague geste de la main, il annonça qu'il allait déjeuner, et il sortit du bureau des Aurors à pas pressés.

Il sortit du ministère et se rendit dans le minuscule parc à proximité. Bien qu'il soit dans le monde moldu, il était en permanence désert et beaucoup de sorciers l'utilisaient pour transplaner notamment. Harry vérifia d'un coup d'œil que les alentours étaient vides de toute présence et il lança un patronus qu'il chargea d'un message.

Puis, il se laissa tomber sur un banc à proximité, fixant les quelques feuilles froissées qu'il tenait toujours sans les lire.

Perdu dans ses pensées, il sursauta lorsqu'une main familière laissa tomber un sandwich sur ses genoux et il leva les yeux. Hermione le fixait avec un air moqueur, mais il nota une pointe d'inquiétude dans son regard chocolat.

— Hermione ! Merci pour le repas.

La jeune femme roula des yeux et s'installa près de lui en grognant.

— Je ne comprends pas pourquoi tu t'obstines à m'inviter pour le déjeuner alors que tu n'apportes jamais de nourriture !

Harry rosit légèrement, mais il tenta de se défendre avec une parfaite mauvaise foi.

— Hey, je t'ai proposé de se retrouver pour le déjeuner, parce que j'avais besoin de te parler. Je n'ai pas parlé de...

Le regard furieux de Hermione l'obligea à se taire et il prit une bouchée du sandwich avec un soupir résigné. Hermione commença à manger son propre sandwich en silence et Harry déglutit avant de murmurer.

— Je vais probablement faire quelque chose de très stupide et tu risques d'être furieuse, mais je voudrais que tu m'écoutes avant de dire quoi que ce soit.

Hermione laissa échapper un gémissement agacé.

— Harry ! Pourquoi m'obliges-tu à chaque fois à être complice de tes idioties ?

Harry lui offrit un sourire désarmant en clignant des yeux d'un air qui se voulait innocent.

— Mais parce que je te fais confiance, bien sûr. Et tu es comme moi, tu détestes les injustices.

Hermione grogna en lui jetant un regard noir. Nullement impressionnée, elle siffla, les yeux plissés.

— Et pourquoi Ron n'est pas avec nous cette fois ?

Harry s'empourpra légèrement et il souffla, mal à l'aise.

— C'est un sujet un peu sensible et il risque de ne pas être très... objectif. Je veux dire...

Hermione leva la main avec un soupir presque résigné.

— Très bien. De quoi s'agit-il ?

Harry lui tendit la première page du rapport en silence et il la laissa le lire sans intervenir. Lorsque Hermione redressa la tête, elle avait les sourcils froncés.

— D'accord. Une femme de Mangemort a été tuée.

Harry hocha la tête.

— C'était la seconde victime et il y en a eu deux autres de plus depuis.

Hermione plissa les yeux, réfléchissant déjà.

— Toutes les victimes sont en lien avec les Mangemorts ?

Harry secoua la tête.

— Pas du tout. Le premier mendiait dans l'allée des embrumes. Le troisième était un retraité passionné de botanique qui venait à Londres pour acheter des potions pour ses plantes. Le quatrième... travaillait au Ministère.

Hermione cligna des yeux et Harry répondit immédiatement à sa question muette.

— Albert Runcorn. De ce que j'ai compris, il n'était pas très apprécié.

La jeune femme pinça les lèvres, avant de demander un peu sèchement.

— Pourquoi m'avoir fait lire le rapport concernant cette femme ?

Harry hésita brièvement avant de marmonner, agacé.

— Parce que tu es capable de voir au-delà de son mari criminel. Pour beaucoup, sa mort n'a pas d'importance. Pire encore, ils estiment qu'elle a plus ou moins mérité son sort.

Hermione leva un sourcil.

— Tu n'exagères pas un peu ?

Harry fixa Hermione en retour, sans dire un mot, jusqu'à ce que son amie se tortille d'inconfort et finisse par abdiquer.

— Très bien. Disons que tu as raison. Pourquoi te mettre dans cet état ? Tu ne peux pas la sauver et si le tueur ne cible pas uniquement des proches de Mangemorts, les probabilités pour qu'un tel cas survienne de nouveau sont très faibles. Alors si tu me disais quel est réellement le problème ?