29 | Joli cauchemar

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ATTENTION PUBLICATION DE L'INTÉGRALITÉ DES CHAPITRES

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Mara

Il y a 7 ans :

Je fais un rêve, un joli rêve.

Maman est dans sa serre et plante des carottes, elle prend une poignée de terreau et le met dans un pot en pierre cuite orange. Je l'observe faire, et quelque chose passe devant mon champ de vision, quelqu'un. L'ombre passe devant ma mère si vite, qu'elle fait tomber son pot et il se brise sur le sol. Elle râle, et appelle l'ombre qui est partie.

— Alex, s'il te plait, regarde ce que tu as fait !

Le petit garçon ne revient pas pour autant, il continue de courir et de faire n'importe quoi malgré les cris de ma mère pour tenter de le stopper. Alors, je m'y colle, car c'est toujours à moi de m'y coller. Je me mets à le pourchasser et arrive à lui tendre un piège, je le choppe par l'épaule et il plonge ses yeux vairons dans les miens. Exactement les mêmes que les miens.


— Alex, maman a dit que tu dois arrêter, tu fais n'importe quoi, arrête s'il te plait.

Il me regarde, juge mon degré d'énervement, et baisse la tête avant de repartir en courant dans la forêt. Je viens aider ma mère à ramasser et m'excuser, parce que c'est ce que je fais toujours, je prends sur moi et prends toutes les peines. Je suis la fautive, je suis responsable de lui, s'il casse quelque chose, c'est de mon fait, parce que je ne l'ai pas surveillé. Je me sens égoïste d'avoir hâte d'être la semaine d'après pour qu'il rentre chez lui et je me sens monstrueuse quand je redoute son arrivée la semaine suivante.
Maman et papa sont tellement meilleurs quand il n'est pas là, mais j'en suis responsable, tout ça est normal, c'est ma faute, c'est parce que je suis là qu'il va si mal, il aurait été normal sans moi.

Un mois plus tard, maman mourrait. Un cancer des ovaires l'emmenait loin d'ici, et je perdais la personne que j'aimais le plus au monde.

Trois ans plus tard, Alex venait à la maison pour l'été. Je ne le voyais pas autant qu'avant parce qu'il vivait à l'autre bout de la ville. Son père m'effrayait, il me faisait peur et je détestais comme il me regardait, mais papa était toujours là, il restait toute la semaine à la maison, me bordait et allait se coucher. Cet été-là a été plus bizarre que d'habitude, quelque chose d'encore plus sombre dansait dans les rétines d'Alex, comme s'il ne pouvait plus empêcher ces démons de sortir. J'ai mis ça sur le fait qu'il était maigre, il avait l'air si affamé en arrivant ici. Notre gouvernante a fait à manger et il a même mangé l'entièreté de mon assiette quand je lui ai tendu, j'avais encore faim, mais je lui ai laissé, car c'était ma responsabilité, encore plus depuis que maman était morte.
Je me sentais coupable de la vie qu'il avait alors que moi je vivais ici, choyée par mon père, je mangeais à ma faim, dormais dans une chambre douillette. Je ne lui ai jamais rendu visite chez lui, mais je savais à l'odeur de ses vêtements, qu'il ne vivait pas comme moi.

Un soir, je suis allée le border comme chaque fois qu'il était là, et je lui ai lu une histoire qu'il aimait. Je suis allée me coucher et mon père est venu me voir. Il m'a bordé, m'a embrassé le front et est parti. Je m'en souviens car c'est la dernière fois que je l'ai laissé m'embrasser le front.

Je me suis endormie, emportée par Morpheus, je n'ai pas entendu la porte s'ouvrir, et je me suis réveillée que quand j'ai pris conscience que quelque chose de lourd m'écrasait. J'ai directement ouvert les yeux pour essayer de pousser ce qui était sur moi et me suis figée à l'instant où j'ai croisé ses yeux. L'un était vert, l'autre était bleu. La parfaite copie des miens.

J'ai voulu, par réflexe crier, mais il m'en a empêché avec sa main. Il murmurait des choses sans sens, que je ne comprenais pas, il me faisait peur. Bien plus que quand je l'ai retrouvé en train d'enterrer Gispsy, notre labrador marron en plein milieu d'après-midi, ou quand je l'ai vu disséqué mon poisson rouge dans sa chambre. Non. Là je savais qu'il allait s'en prendre à moi.

Pour la première fois, j'ai perdu tout espoir le concernant, il a fait une chose qui me semblait impossible ce soir-là. Il m'a pris mon innocence. Mes rêves.

Après cette nuit-là, j'ai perdu tout but, j'ai perdu mon âme, je n'ai jamais cessé de faire des cauchemars de ses yeux vairons. À chaque fois que je me suis vue dans le miroir après cette nuit-là, je le voyais lui. Je me suis tu quand j'ai senti ce qu'il me faisait, le mal que ça engendrait, la honte qui me consumait. Je me suis tu et j'ai arrêté de me battre, seules mes larmes ont coulé. Je ne pense pas que ça a duré longtemps, après tout, nous n'avions que 13 ans, je me souviens de son souffle, de son haleine et du dégout qu'il m'a transmis. J'ai eu envie de me défenestrer, de sauter d'un pont, de me tailler les veines, je me suis détestais car c'était ma faute. Ma responsabilité. Mon jumeau.

Il m'a appelé "ma douce" durant de longues minutes avant de s'enfuir. Je n'arrivais pas bouger, je me sentais sale, je me sentais moche, je me sentais trahis, je me sentais responsable et surtout, j'avais mal. J'ai eu tellement honte qu'avant que le jour se lève et mon père avec, j'ai retiré mon drap et je suis allée dans ma salle de bain. Je me suis mise à frotter le drap pour effacer le sang avec mon petit gel douche à la cerise, j'ai frotté en pleurant, je sanglotais tellement que je n'arrivais plus à respirer. Je ne voulais pas qu'il le voit, voir dans son visage que j'étais un monstre. Je n'ai rien fait pour l'en empêcher, je savais qu'Alex était malade, je le savais et je n'ai rien fait. C'était mon rôle, mon fardeau.

La superfécondation hétéroparentale, c'est un évènement rare, très rare. Ma mère et mon père se sont séparés et ma mère a eu une aventure sans lendemain les mois qui ont suivi, malheureusement elle était enceinte en revenant chez nous, elle l'ignorait quand ils m'ont conçu. Je suis arrivée dans une poche de gestation, ayant la même mère mais pas le même père. Nous partageons les mêmes yeux, mais c'est tout.
Alex est brun, je suis blonde, Alex est bronzé, je suis plutôt blanche comme neige, il fait presque 2 mètres, j'en fais 1m65.

Le lendemain, j'ai verrouillé ma porte à clef et il n'est pas revenu, jusqu'à la dernière semaine de l'été. Il a réussi à entrer et a fait la même chose qu'au début du mois. Il m'a violé pendant que je restais silencieuse, des larmes coulantes pendant que je regardais le plafond. Et je n'ai rien dit. Je l'ai laissé faire. J'ai attendu. Je me suis barricadée dans un endroit dans ma tête et j'ai arrêté de ressentir. J'ai arrêté de vouloir une vie. J'ai renoncé à vivre. Je vivrais, je respirerais, mais je ne profiterais pas. Je ne le méritais pas.

Après ça, j'ai rejeté mon père, j'ai refusé qu'il vienne me border et plus les mois passés, plus il se tournait vers le travail. La nuit, je gardais les yeux fixés sur ma porte close et je mouillais mon lit en imaginant la poignée tourner.

Je n'ai pas dormi une seule nuit sans la porte de la salle de bain ouverte sur la lumière allumée.

J'ai fait pipi au lit jusqu'à mes seize ans.
Je n'ai pas passé une nuit sans me réveiller en larme.

Avec de la chance, j'ai trouvé une excuse pour ne pas être là quand Alex est revenu aux vacances de l'été d'après. Et quand je suis revenue de ma colonie de danses, mon père m'a appris avoir viré Alex, il ne m'a jamais dit pourquoi et je n'ai jamais chercher à savoir pourquoi. Un an plus tard, j'apprenais qu'il déménageait. Un an après, qu'il eut fait une overdose.

Plusieurs sentiments m'ont percuté. La pitié. La tristesse. Le deuil. Et puis... le pire. Le soulagement. J'étais soulagée qu'il ne puisse plus me hanter. Oh il revenait dans mes cauchemars, mais à chaque fois que je me réveillais, je savais qu'il ne pouvait pas être vraiment là. Ce n'était qu'un fantôme. Mais je le pleurais aussi, parce que c'était mon frère. Mon jumeau. Notre lien continuait de vivre entre nous et je me sentais toujours liée à lui. Je l'aimais malgré ça. Réellement. Essayant de me convaincre qu'il n'était pas lui-même et qu'il avait été désolé d'être ce qu'il est.

Comment arrêter d'être hanté quand tu vois chaque jour l'objet de ta peur ?

Mes yeux.
A chaque fois que je me regarde, je le vois, lui, et je me hais.
C'était mon fardeau.

Mais il est réapparu. Le soir de l'overdose de Valentina. Pour mon anniversaire. Il est revenu et m'a offert une bouteille. Il l'a ajouté à la liste de cadeaux, et comme une idiote, j'ai servi le liquide à Lana. Qui là elle-même donné à Valentina.

Mon dieu... elle aurait pu mourir à cause de lui. Parce que je le croyais mort. Parce que j'ai donné ce verre.

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