Chapitre 8 - Mariage - partie 1

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Après l'annonce de sa sélection, les prétendantes avaient rejoint le dortoir. Alors que certaines rassemblaient leurs affaires, manifestant une déception évidente, Zarin, Pooja et Shae se préparaient à emménager dans leurs nouveaux quartiers.

Shae avait suivi les instructions de Naher de façon mécanique, l'esprit toujours incapable d'accepter la situation. Zarin avait un visage sombre, ravalant certainement sa défaite. Son regard en était presque inquiétant et Shae se demandait si en lui offrant cette place, elle ne lui avait pas aussi offert la possibilité de l'assassiner dans son sommeil pour prendre sa place.

Seule Pooja était extatique. Elle se réjouissait de sa situation et avait remercié Shae une bonne vingtaine de fois. Alors qu'elles quittaient les quartiers généraux pour rejoindre les quartiers princiers, la jeune femme aux joues rondes ne cessait de s'exclamer sur les arches et les fresques détaillées qui ornaient les murs des couloirs. Elle salua chaque plante, chaque vigne qui grimpait derrière les fenêtres avec un enthousiasme tel que Shae en vint finalement à souhaiter que Zarin l'assassine pour ne plus avoir à l'entendre.

Les trois femmes furent séparées et accompagnées jusqu'à leurs nouvelles chambres. Shae découvrit une pièce aussi vaste que le dortoir dans lequel elle avait séjourné.

Ce fut la seule soirée où elle put profiter d'un peu de calme. Elle avait repris son journal, cherché des passages qu'elle aurait ratés, une section "Que faire si Ishan te choisit comme épouse ?", mais non, il n'y avait rien de tout ça. Seul un rappel fréquent parsemait les pages : "tes origines te rendront visible, mais tu devras tout faire pour rester discrète", "ne te fais pas remarquer", "le sorcier des mers ne doit pas savoir que tu es au palais !". Elle aurait voulu crier sur son moi du passé pour ne pas avoir envisagé clairement la situation dans laquelle elle se trouvait à présent.

Shae n'avait pas la moindre idée de la répercussion qu'aurait réellement son mariage. Allait-il créer un raz de marée dans tout le pays et se répandre sous les eaux, jusqu'aux oreilles du sorcier ? Mais Ishan n'était que le cadet de la fratrie, peut-être que ses épousailles ne feraient jaser qu'un temps sur le continent ? Peut-être entendrait-on dire qu'une ondine vit au palais, mais après tout, ils étaient nombreux à fouler le sol de Jivaran à présent. Le sorcier penserait-il qu'il puisse s'agir d'elle, alors que le roi lui avait annoncé sa mort ? Et puis, Shae n'était même pas son véritable prénom.

Dans tous les cas, elle devrait agir aussi vite que possible. Trouver le disque et sortir d'ici. Il lui fallait procéder par étapes : d'abord, elle demanderait à visiter le palais, et elle s'enquerrait de ce qu'était cette salle mystérieuse. La réponse pourrait l'aiguiller. C'est sur cette pensée qu'elle se coucha le premier soir de l'annonce de ses épousailles, déterminée à en savoir plus dès le lendemain.

Mais on ne lui en laissa pas la possibilité. Dès l'aube, une armée de serviteurs envahit sa chambre. La date du mariage était prévue de longue date, seule la future épouse manquait — une broutille, songea Shae avec ironie — et ils n'avaient que six jours pour tout préparer.

Shae subit des essais de tenues, de coiffures, de maquillage. Les fonds de teint n'allaient pas avec sa peau laiteuse, lui donnant un air clownesque. On dit que le sari couleur safran lui donnait un air maladif, alors elle dut essayer de nouvelles tenues, encore et encore. Lorsqu'elle demanda à visiter le palais, on lui rétorqua qu'elle aurait tout le temps de le faire une fois mariée. Elle dut apprendre trois danses différentes et les rituels qui allaient célébrer leur union. Marcher était une chose, danser en était une autre. Shae faisait le désespoir de ses professeurs et elle devait répéter les mêmes pas, encore et encore. Elle ne croisa Ishan qu'une seule fois dans la salle de danse, alors que celui-ci finissait ses répétitions. Malgré ses tentatives pour engager la conversation — espérant encore le persuader de considérer une autre femme — , toutes ses approches échouèrent.

Une nuée de serviteurs l'entourait en permanence, déployant tous les efforts nécessaires pour la maintenir occupée. Ils s'assuraient également qu'elle ne puisse pas s'entretenir avec son futur mari avant le mariage, considérant une telle interaction comme de mauvais augure. Elle aurait souhaité quitter le palais, traverser les rues, acheter les journaux, tendre l'oreille : découvrir la réelle ampleur de son mariage. Mais là encore, Shae n'eut pas une seconde à elle. On la réveillait aux aurores et elle retournait dans sa chambre à la nuit tombée, les pieds meurtris, épuisée et accablée par tous ces préparatifs. Elle songea à voler jusqu'à la ville à la nuit tombée, mais le risque que son épuisement ne ferait qu'accroître la dissuada. Et puis que pourrait-elle réellement glaner au beau milieu de la nuit ? Des discussions de fêtards ?

Il lui sembla qu'en un battement de cils, le jour du mariage était arrivé, et elle se sentait comme un marin pris en pleine tempête.

*

Même si on ne l'avait pas une nouvelle fois réveillée à l'aube, le bruit de la foule l'aurait tout de même tirée de son sommeil. Le mariage ne commencerait que dans l'après-midi, et pourtant une masse noire s'entassait déjà dans les rues menant au palais.

— Ne bougez-pas, lui intima l'une des trois domestiques qui s'agitaient autour d'elle.

Shae était debout, le regard perdu au-delà de son balcon. On brossait ses cheveux roux, encore et encore, dans l'espoir de leur donner la texture lisse des jivaranaises. De petites boucles rebelles persistaient, et les trois femmes faisaient tout leur possible pour qu'aucune ne résiste à leurs coups de peigne et leur application d'huiles parfumées. Les bras de l'ondine avaient déjà été recouverts de peintures florales couleur argile. Il lui faudrait encore trois heures supplémentaires pour que son apparence soit jugée convenable.

On l'enveloppa dans un sari vert sombre parsemé de perles blanches. Des bijoux clinquants ornaient chacun de ses poignets, de ses chevilles, de ses doigts, pendaient autour de son cou, si bien que Shae avait l'impression d'être un souk ambulant.

Ses yeux avaient été entourés de khôl, et leur vert semblait encore plus saisissant. Lorsqu'elles eurent fini, les domestiques s'extasièrent sur son apparence. Shae se laissa toucher par la flatterie, après ces derniers jours où chacune de ses différences avait été remarquée et critiquée. Les domestiques furent cependant déçues lorsque l'ondine insista pour porter un voile fin qui tomberait sous ses yeux jusqu'à son menton. Au moins, elle réussirait à conserver une infime touche d'anonymat.

Lorsque les préparatifs furent terminés, on la guida vers la salle des bals.

Écume d'étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant