Chapitre 45

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Elwina se souvenait parfaitement avoir conclu avec Ascelin qu'ils étaient amis, à présent. Cependant, elle avait du mal à y croire. Avoir un ami, dans ce monde qui lui était hostile, et auquel elle était elle-même hostile, lui paraissait tout autant improbable que futile.

Pourtant, il fallait bien avouer que le loup-garou et elle n'étaient pas si différents que ça. La métamorphe en avait la preuve juste sous ses yeux : allongée sur son lit, elle avait laissé son aura flotter librement autour d'elle. Le halo noir grandissait de jour en jour, et pouvait à présent entourer tout son corps sur plus d'un mètre d'épaisseur.

Son aura était si opaque, que Elwina était bien incapable d'apercevoir ne serait-ce que le bout de son nez.

Wi était couchée à ses côtés. Étonnamment, la féline demeurait en pleine forme, nullement perturbée par le changement qui s'opérait chez sa maîtresse.

Les conseils de sa grand-mère lui revenaient alors en mémoire :

« Ton aura ne doit jamais parvenir à sa véritable apparence. Ce sera le début. »

Le début. Elwina avait des sueurs froides à cette idée, malgré tout elle était incapable de s'y fier. La confiance qu'elle avait jadis eu envers les conseils de sa tutrice s'était évanouie en même temps qu'elle avait appris l'existence de l'Autre Monde. L'existence de son monde à elle, que la femme s'était évertuée à lui cacher durant sa vie entière.

La jeune femme fit disparaître son aura, tout en se redressant. Elle fit quelques pas jusqu'à la fenêtre, pour l'ouvrir, et une gifle d'air glacial vint rougir ses joues. Une multitude d'odeurs l'avait alors frappée. Elle savait les différencier, à présent. Le quartier Bleiz empestait le loup. Au fur et à mesure des jours qui passaient, sa propre chambre, ses propres affaires, même ses habits, avaient fini par s'imbiber de cette odeur.

Si ça se trouve, certaines créatures qu'elles croisaient dans sa vie de tous les jours la prenaient pour une louve, à cause de ça. Humaine, féline, sorcière, louve... Elwina avait l'impression d'être tout et rien à la fois.

Encore une fois, Roméo l'avait rejointe au restaurant universitaire ce midi-là. Le jeune homme abordait cet air adorable qui lui était habituel. Ses cheveux, raides et plaqués en arrière, s'accordaient à merveille avec le costume bleu qu'il avait enfilé. Mais, comme à son habitude, ses multiples bijoux et tatouages dénotaient avec le tout.

Ses ongles étaient vernis de blanc. Elwina nota qu'il les entretenait toujours à la même longueur, et elle était restée quelques secondes à les observer, sans rien dire.

— Tu connais ton âge ?

Il l'avait regardé gentiment, avant de s'avancer vers elle tout en posant ses coudes sur la table :

— Je suis né le quatorze août mille-sept-cent-vingt-neuf.

Et dire que la brunette avait toujours cru qu'il avait vingt-neuf ans. Sans rien ajouter de plus, la jeune femme avait reposé les yeux sur son assiette de pâtes carbonara. Sentant son trouble, son interlocuteur avait repris :

— Je suis mort le trois avril mille-sept-cent-cinquante-huit. Mon corps a toujours gardé cet âge-là.

Le garçon avait mangé si vite qu'il était déjà arrivé au dessert. La pomme verte qu'il tenait dans sa main avait résonné creux sous ses dents. Qu'importe les capacités de l'espèce à laquelle le jeune homme appartenait, il semblait au moins se contenter d'une nourriture normale.

— Comment tu sais ?

— Pour les autres espèces, c'est différent : personne n'est capable de savoir à l'année près quand est-ce que son corps a terminé de grandir. Mais les zombies, comme tu dis, n'ont aucune évolution corporelle possible après la mort.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant