Chapitre 53

287 51 21
                                    

Les de Fleuri avaient proposé à Elwina de passer avec eux la journée de Noël. Elle avait refusé. Et, lorsqu'Ascelin était venu lui demander ce qui la retenait, elle s'était inventée une tradition personnelle comme excuse.

C'était faux. La jeune femme avait juste besoin d'être seule. Cela faisait quelques heures à peine qu'elle s'était confiée au loup-garou, et si le sentiment de sérénité qui avait suivi leur conversation avait duré quelque temps, il s'était bien vite effacé pour faire face à une terreur brute.

Il y avait très peu d'informations, concernant la métamorphose en félin, si ce n'est que l'espèce était de renommée maudite. En réalité, un seul livre venait à parler des chats noirs, et il n'était qu'un ramassis de phrases illisibles ou incompréhensibles.

Même la grand-mère d'Elwina —qui avait toujours eu connaissance de la nature de sa petite fille— n'avait jamais su la guider. Son éducation s'était uniquement basée sur la peur et l'évitement.

Il ne neigeait pas, en ce vingt-cinq décembre. Il ne neigeait jamais, à cette période de l'année, dans cette partie du monde. Certaines cités de l'Autre Monde étaient tant coupées du vrai, qu'elles avaient leur propre météo, mais ça n'était pas le cas de Kerdoueziou. Il arrivait seulement que, parfois, les élémentaires de l'eau et de l'air jouent avec le temps.

Elwina n'avait pas le permis voiture, et abhorrait l'utilisation du GPS sur son téléphone. Mais elle se souvenait très exactement d'où est-ce qu'elle voulait aller, et son sens de l'orientation de féline l'avait précieusement aidée. La jeune femme était partie à six heures du matin, sous forme de chatonne. Son corps était grand, à présent. Quasiment six mois, elle ne saurait le dire. Elle l'avait remarqué avant de partir, en observant son reflet dans la vitre.

Ça n'était pas normal. La croissance de son corps n'était que le signe du développement de son aura, et il aurait fallu que jamais cela n'arrive. Depuis sa naissance, son corps de métamorphe était resté à l'identique. Jusqu'ici.

Jusqu'à son arrivée à Kerdoueziou.

Et plus son chat grandissait, plus l'angoisse de sa vie grandissait.

La brunette était arrivée à destination en fin de matinée. Essoufflée, elle marchait calmement au centre d'une forêt, qu'elle redécouvrait après toutes ces années. Jamais elle n'avait eu le courage de revenir ici, dans sa maison d'enfance, après la mort de sa grand-mère.

À environ un kilomètre du chalet, la jeune femme fut stoppée net. Là, devant elle, se dressait un Moger. Identique à celui qui se trouvait à Kerdoueziou, il s'ancrait dans les conifères, et faisait visiblement le tour de son ancienne demeure.

Alors, Elwina savait. Elle savait que c'était son aïeule qui avait créé cette barrière, et c'est seulement à ce moment-là qu'elle avait réalisé la puissance que sa grand-mère avait dû avoir. Réaliser un Moger était souvent le fruit de l'alliance entre sorcières et Korrigans, alors, pour une sorcière seule, c'était une véritable prouesse. Sans compter que le mur était encore debout, malgré son décès. Et puissant, qui plus est : aucun humain ne pouvait y entrer ; elle le sentait en touchant la fibre mouvante.

En un pas, Elwina s'était retrouvée de l'autre côté. Chez moi. Le sentiment de plénitude qui l'envahît était transcendé par une multitude de souvenirs nostalgiques, vécus en ces lieux. La brunette fit un pas, puis deux, et tout à coup elle aurait tout donné pour rester ici à jamais.

Ce Moger-ci ne visait pas seulement à empêcher quiconque d'entrer en ces lieux. C'était une prison. Une prison, créée de toute pièce, pour elle seule. La jeune femme se souvenait à présent qu'elle n'en avait jamais dépassé des limites : la magie lui avait toujours fait rebuter cette envie, sans qu'elle ne s'en rende compte. Mais aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, elle connaissait le sortilège, et l'évitait aisément.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant