Chapitre 71

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Bien sûr, qu'elle était en vie. Elwina pouvait sentir la moindre parcelle de son corps. Face à elle, Roméo avait semblé prêt à partir, mais l'immortel s'était ressaisi au dernier moment pour se rapprocher brusquement d'elle.

— Comment as-tu pu ?

Perdue, la jeune femme avait dévisagé son interlocuteur. Il avait parlé d'une voix enrouée par la douleur.

— Tu as demandé à Ascelin de te mordre, avait-il rugi, dents serrées.

Oui, la brunette se souvenait bien avoir fait cette demande au loup-garou. Elle se souvenait bien, également, de s'être transformée à la pleine lune. Elle se souvenait très bien en quelle créature elle s'était transformée. Mais pour le reste, tout le reste était flou.

— Tu aurais pu en mourir ! Tu t'en rends compte, que tu as demandé à ton âme-sœur de te tuer ?

Il avait pointé du doigt la porte de la salle de bain, et Elwina avait deviné que le blond s'y trouvait. L'aura blanche formait un tunnel entre les orifices de son visage et ceux de Roméo : Ascelin ne pouvait pas les entendre. L'eau de la douche coulait, faisant résonner un bruit de pluie dans l'appartement. 

— Je savais ce que je faisais, avait-elle répondu, en soutenant le regard de l'immortel.

— Tu ne savais rien du tout !

Roméo semblait hors de lui, ce qui avait eu le don de déstabiliser Elwina. Lui qui était si doux et si calme d'ordinaire, semblait avoir opéré un virement brusque dans sa personnalité.

— Et si tu étais morte, hein ?

Sa voix s'était brusquement calmée, et il avait sondé le visage de la jeune femme. Ses yeux bleus, translucides, ressemblaient à deux billes peintes. Il connaissait les pensées suicidaires de la brunette, et son corps s'était alors affaissé, alors qu'il avait répondu à sa place :

— Ça ne t'aurait pas dérangé.

Il avait fermé ses paupières quelques instants, pour peser le poids de ses paroles. Alors qu'il les rouvrait, son timbre vocal était devenu accusateur :

— Et tu as pensé, à ceux qui seraient restés ?

Elwina restait toujours mutique. Roméo, lui, ne semblait pas vouloir s'arrêter :

— Tu as pensé à Ascelin, qui aurait continué à vivre en sachant qu'il t'avait tué ?

Elle avait rompu le contact de leurs yeux, qui lui semblait tout à coup trop douloureux.

— Il aurait à peine survécu, Elwina !

— Tu ne comprends pas...

— Oh que si, je comprends. Tu ne croiseras personne d'autre ayant davantage envie de crever que moi.

L'immortel avait laissé un long silence envahir la pièce, avant de reprendre, d'une voix plus calme, mais toujours hantée par la douleur :

— Patrocle et Achille, Roméo et Juliette... il avait ri nerveusement. Toutes ces histoires d'amour parlent de couples qui meurent ensemble. Et celui qui survit, alors ? On n'en parle pas. Moi, j'ai survécu. Ça fait des centaines d'années que je vis sans mon âme.

— Je suis désolée.

— Ne t'avise plus jamais de recommencer une chose pareille. Tu veux mourir ? Meurs ! Oublie ceux qui t'aiment ! Mais ne les implique pas dans ce choix.

Au même instant, Ascelin était sorti de la salle de bain. Son regard s'était illuminé en voyant Elwina, et il s'était précipité vers elle. Le garçon aux cheveux blancs, quant à lui, avait quitté l'appartement, sans un mot de plus. Elwina avait l'impression que ses mots l'avaient tant heurtée qu'il subsistait un fantôme de lui, quelque part, qui tissait le fil de la culpabilité jusqu'à son cœur.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant