Chapitre 26

387 67 44
                                    

Elwina était arrivé pile à l'heure, au manoir du quartier Bleiz. A quatorze heures trente tapantes, elle se tenait là, devant l'immense bâtisse. Les mains fourrées au fond de ses poches, elle observait la grande porte d'entrée, sans pour autant s'en approcher.

L'endroit puait le danger. Les sens surdéveloppés pouvaient être un avantage comme un inconvénient de sa condition surnaturelle. Son odorat était assez fin pour sentir certaines émotions et dispositions. Et concernant ces lieux, l'odeur étouffante lui conseillait de déguerpir au plus vite.

La jeune femme avait soufflé lourdement, comme pour se donner du courage, avant de faire un pas en avant. Au même instant, la porte s'ouvrait, et Ascelin sortait du bâtiment. A la vue du jeune homme, le corps de la brunette n'avait su comment réagir : s'il devait se détendre ou, au contraire, raffermir sans crispation. Elle avait toisé le blond sans broncher. Ce dernier ne l'avait pas non plus salué, et s'était contenté de maintenir la porte ouverte jusqu'à ce qu'elle entre.

Elwina se souvenait du chemin jusqu'au bureau d'Armel, et s'y était donc dirigée, son supposé guide sur les talons. A son grand soulagement, les couloirs étaient entièrement vides. La pièce où l'attendait le sous-maire était grande ouverte, et elle y était entrée sans prendre le soin de s'annoncer.

Ses pieds s'étaient brusquement immobilisés, lorsqu'elle avait vu qui l'y attendait. Oh, il y avait bien Armel. Mais il y avait aussi Berhed. Et Poséidon. Et un homme blond foncé, qui l'observait avec des yeux châtains remplis de curiosité. Elle se souvenait de ce visage, elle l'avait vu en se documentant sur Kerdoueziou : c'était Maël, le sous-maire du quartier Louarn.

La jeune femme avait dégluti péniblement, très peu à l'aise de se retrouver face à autant de monde. D'autant plus que personne ne l'avait prévenue. Elle s'était retournée vers Ascelin, dans l'espoir vain d'y trouver un quelconque soutien, et fut surprise de trouver le jeune homme posté à quelques centimètres seulement de son propre corps.

— Elwina, nous sommes ravis de te voir. Assieds-toi, je t'en prie.

C'est l'homme à la peau ébène qui venait de lui parler, en lui présentant la chaise la plus proche d'un geste de la main. Seulement, comme elle se sentait oppressée, la jeune femme avait répondu d'un ton placide :

— Je préfère rester debout.

La fuite est bien plus facile lorsqu'on est debout, plutôt qu'assis.

— Nous sommes des représentants de différents quartiers de Kerdoueziou. Ne t'inquiète pas, nous souhaitions simplement te voir aujourd'hui pour savoir comment tu vas. Si tu te plais ici, et qu'est-ce que nous pourrions améliorer pour mieux l'accueillir.

Elle fut tentée de répondre que le meilleur chemin d'amélioration était l'arrêt de ces rendez-vous, mais aucun mot n'était sorti de sa bouche. Au fond de son esprit, son aura remuait silencieusement, comme pour murer ses plus sombres secrets. Elwina avait la fâcheuse impression qu'on essayait de lire en elle.

— Désolé de ne pas t'avoir annoncé ma présence. Je comptais te le dire hier soir, mais tu n'es pas venue.

C'était Poséidon qui venait de parler, de manière âpre. Elwina avait observé le brun droit dans les yeux, sans ciller. Elle n'avait aucun compte à lui rendre. Derrière elle, la main d'Ascelin s'était glissée avec flegme sur son épaule. Elle l'avait laissé faire, étonnée de discerner une certaine familiarité dans ce geste.

Une discussion s'était ensuite engagée, de manière tout à fait platonique et inutile. Ils en étaient même venus à parler de la pluie et du beau temps, et Elwina s'impatientait de plus en plus. Elle avait l'impression que ses rares prises de paroles étaient évaluées par ses interlocuteurs. Que le rythme de sa respiration et ses mimiques corporelles étaient sondées sans répit. Visiblement, Ascelin ressentait son mal-être, car sa deuxième main avait à son tour pris place sur son autre épaule, geste qui n'avait pas échappé à leurs interlocuteurs.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant