CHAPITRE 1 - Le Métamorphe

355 50 287
                                    

Arrivée sur le palier de la porte, je savais. Je savais qu'il était là. Une succulente odeur d'entrecôte marinée à la sauce caramel envahissait le hall de mon immeuble. Et ma sœur cuisinait de cette façon seulement quand il était là.

Les dents serrées, je franchis le seuil de l'entrée. Là, dans le salon, un buffet d'ogre ornait la table ; pas moins d'une dizaine d'entrecôtes, et trois cuisses de poulet.

Assis à cette table, un homme me dévisageait avec insistance. Sa touffe de cheveux grasse noir de jais couvrait son crâne, et sa barbe naissante était mal rasée. Un malaise emplit la pièce, et il me toisa ainsi, un sourcil haussé. Pire encore, derrière son regard sombre, je décelai un profond dégout. 

– Kara, lâcha-t-il entre ses dents. Nous t'attendions. Installe-toi.

Je frémis. Il ne paraissait jamais aussi sérieux qu'en ce jour.

– Julian, répondis-je en masquant mon appréhension. Que fais-tu ici ?

Il saisit un couteau et le planta dans l'une des entrecôtes.

Ma grande sœur se glissa dans l'encadrement de la porte. Elle et moi, nous ressemblions en tout point malgré ces six années qui nous séparaient ; un teint hâlé, presque bronzé. De longues boucles brunes encadraient son visage de femme accomplie, et ses lèvres, pulpeuses, se pinçaient sous ce nez fin presque retroussé.

Toutefois, la ressemblance s'arrêtait à cette couleur noisette qui teintait nos iris. Les siens s'injectaient de paillettes d'or, en désordre autour de sa pupille noir. Et Julian, lui, possédait les mêmes tâches dorées dans ses yeux.

Elle s'installa à la table, et je l'imitai. Les lèvres de l'homme matérialisèrent un sourire narquois, et il déclara :

– Bon appétit.

Le festin commença. Ma grande sœur et lui se servirent et mangèrent à foison. Il y avait l'équivalent de plusieurs kilos de viande sur la table et ils les dévorèrent à pleine dent, en silence . Pour ma part, la dégustation fut brève. Ma gorge se nouait à la vue de ces deux pauvres petites cuisses de poulet, les seules qui m'étaient destinées.

Le repas fut long dans ce silence couvert par les mastications désagréables de l'homme. Je les observais engloutir toute cette viande, jetant de temps à autre des coups d'œil à mon aînée.

Elle me fuyait du regard.

Le repas achevé, Julian se tapota la bouche avec une serviette et lâcha un énorme rot.

– Merci ma chérie, dit-il à son intention.

Je déglutis, dépitée. Sérieusement ! Comment pouvait-elle avoir pour petit-copain cet homme ? Mais, comme à son habitude, elle ne réagit pas. Sara constatait avec déception mon assiette toujours garnie.

Mon cœur se serra.

– Kara, reprit Julian. Quand est-ce que tu as eu dix-huit ans ?

Ma respiration se coupa.

– Le mois dernier, murmurai-je.

– Et tu n'as pas senti un... changement ? ajouta-t-il.

Sara posa enfin ses yeux sur moi, les lèvres pincées. Son appréhension se mêlait à la mienne.

– Aucun..., répondis-je.

Julian soupira. Il saisit son couteau et joua avec, le faisant glisser entre ses doigts. Ma sœur baissa les yeux, l'air déçu... ou contrarié, peut-être.

– Sara, ma chérie. Que se passe-t-il quand un Méta loup ne se métamorphose pas ?

Cette dernière baissa les yeux.

GUILDE : HéritageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant