CHAPITRE 20 - Aveux

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Le mannequin de bois, disloqué de tous ses membres, s'éparpillait en plusieurs morceaux sur le parquet de la salle des combats.

Le soir suivant l'annonce du classement, ce lieu devenait un refuge primordial à mon courroux. Et ces pantins, détestablement transformés en souffre-douleurs, s'éclataient sous les coups de ma profonde indignation.

J'attrapai le cou fragile de la statue articulée, et envoyai violemment mes phalanges crispées droit sur sa face. Son visage, dépourvu de traits, se désintégra du buste et atterrit quelques mètres plus loin.

Je remplaçais sans scrupule ces silhouettes dénuées de toute identité par des formes familières ; celle-là représentait Luther et son mépris malicieux. Celui d'avant, déjà complètement pulvérisé, était Jetro qui ne cessait pas ses railleries médisantes lors de notre retour dans le véhicule. Seul la main de Carl qui était apposée sur mon genoux durant le trajet, avait eu le don de ralentir ce mécontentement agressif qui circulait dans mes veines. Puis il y eut la capitaine, qui par deux seuls mots froids et efficaces, avait fait taire ces persiflages incessants.

Mais cette cocotte minute bouillonnait depuis un long moment. Au diable la justice ! J'étais sotte de croire en cette utopie racontée dans mon enfance. Les dires de Sara se confirmaient, la Guilde et toute cette bande de gens perfides n'était qu'une pièce de théâtre vouée à ma propre chute.

Je saisis le pantin décapité, léger comme une plume, et le brisai véhémentement sur ma cuisse. Prends-ça, capitaine de mes deux !

Je me dirigeai vers le présentoir d'arme et attrapai le manche d'une hache. J'expédiai avec brutalité l'objet droit sur la cible, accroché au mur de la salle. Elle ne rejoignit nullement son objectif principal. La hache explosa à la rencontre fatale de la paroi bétonnée et tomba en miette sur le parquet.

Je m'assis par terre, complètement harassée. Je fermai les paupières, dissimulant mon visage entre mes genoux. Bon sang ! Je ne suis même pas foutue de lancer ce truc dans une cible...

– T'es toujours trop lente.

Dany, fidèle à lui-même dans sa tenue de surfer raté, se tenait adossé contre le ring de boxe. Je ne l'avais même pas entendu dans cette effervescence totale.

– Où t'étais, toi ! hurlai-je à plein poumon en me ruant dans sa direction.

Il sursauta, stupéfait de ma réaction. Je l'avouais, ce Méta dénué de toute sympathie, était devenu un véritable repère. Il était le seul à connaître ma fragilité face à cette atroce société. L'unique ici, qui était pleinement conscient de cette hypocrisie joué à l'encontre de ma famille déchue. Le seul témoin de ma détresse, de mes doutes et de mes interrogations dans ma quête de vérité.

– Je..., balbutia-t-il en sortant les mains de ses poches. J'ai trouvé quelque chose.

Ses traits se durcirent, effaçant subitement son étonnement. Il me tendit un épais papier plié en deux. Après un regard suspicieux destiné au Méta, je dépliai la feuille.

Je demeurai sans voix. Dany, dans son désintéressement partiel dans cette affaire d'accusations aberrantes envers mon père, s'était finalement investi.

C'était une photo. Mon cœur se pinça, découvrant le visage figé de Jacob. Il portait fièrement dans ses bras une énorme carpe fraichement capturée.

Je me souvins de cette journée de pêche catastrophique. Nous n'aimions pas ça, mais il s'agissait de la seule activité du coin dans cette maison de campagne. Nous avions passé des heures entières derrière nos lignes à ruminer de l'échec de nos appâts, des morceaux de pain de fortune. Et l'hameçon mordait quatre heures plus tard ! Jacob était tout excité, et il fallait urgemment effectuer une photo pour immortaliser l'instant. Nous avions pour projet de vite relâcher la carpe dans son lac, alors je m'étais hâté de dégainer mon téléphone portable. Le gros poisson se débattait avec hargne dans ses bras.

GUILDE : HéritageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant